QUE VOIR ?

Le petit jeu qui consiste à se demander quel film on garderait  si nous étions dans la peau d’un Robinson Crusoé, coincé sur une ile, peut tourner court. Simplement parce que l’on a oublié le bon raccord…  Mais imaginons que le bonheur cannois puisse être visible. A coup sûr on piocherait dans sa vidéothèque, en songeant à une Palme d’Or … Les doigts virevoltant sur les DVD comme un pianiste sur les touches de  son piano. De l’index vous basculez un coffret. Blow Up peut-être. Un hasard ? Non naturellement, un choix réfléchit. Film de 1967 de Michelangelo Antonioni. Film charnière comme l’a été quelques mois avant La Chinoise de Jean-Luc Godard. La bascule aura bien lieu, un an plus tard. Déjà le  souffle de la tempête caresse la pellicule. On ne peut pas rester insensible au doute continuel, que le personnage de Thomas joué par David Hemmings impose aux spectateurs devant ses agrandissements. Le doute est le moteur du film. Comme la certitude était celui de Jean-Luc Godard,  Antonioni pose la question du regard. Que voit-on ? La réalité ! Laquelle ? Si oui, où se cache -t-elle ! dans l’image ? Hors-champs ? Subliminale ? Question que Godard se posait la même année pour son film Ici et ailleurs. “Qu’est-ce qu’une image ? Une image juste, ou juste une image ?” Il n’y a pas de réponse naturellement,  surtout dans les agrandissements que nous propose de décortiquer Thomas, le photographe de mode de Blow Up. BLOW UP dont la signification est Agrandissement, Explosion. Selon le sentiment que l’on éprouve, à déambuler dans un photogramme. Le pointillisme  photographique. Implosion de la vision, voyage dans le grain et l’abstraction que Thomas offre au regard du spectateur. Que voit-on dans ses agrandissements démesurément grands ? La métaphore d’un monde en ébullition et pas seulement une arme oubliée sur le gazon. Antonioni signe un film manifeste. Une œuvre silencieuse malgré la musique Pop et les morceaux des YardBirds. Le silence avant la tempête. Le film se fige dans le temps. Une empreinte que l’on ne discerne pas tout de suite. Comme souvent le cinéma nous offre une écriture politique que l’on ne décrypte qu’avec le temps. Ainsi va le cinéma. Godard et Antonioni sur un même bateau mais ramant  à contresens. Peu importe, les films sont des sommes que l’on additionne sans qu’il y est pour autant concordance. L’année 1968 aujourd’hui décriée, jetée aux oubliettes restera pourtant frappée par le sceau de l’impossible retour en arrière. Cours Camarade, le vieux monde est derrière toi !   Et Oui, et aujourd’hui à Cannes, en 2019, il semble que ce vieux monde ronronne à nouveau, paisiblement. Offrant l’immobilisme comme signature cinématographique. Non que les films soient mauvais, mais la ritournelle a pris le dessus. Les œuvres aussi fortes qu’elles soient, ont oublié d’être exceptionnelles. Cannes est devenu un matou un peu trop gras confortablement assis sur un coussin moelleux . Ce n’est pas une exception. Cela n’enlève rien, au plaisir gourmand que les festivaliers attendent chaque année. Il y a simplement une lassitude, comme Alain Delon qui sous l’émotion réelle se demandait quand on allait lui remettre ce qui lui revenait de droit depuis des années. N’est pas légende qui veut.  Les dinosaures disparaissent un à un, certains oubliés sur le bord de la route, d’autres que l’on ose plus honorer.  Le cinéma manque-t-il à quelqu’un ? C’est une question qu’on est en droit de se poser devant la multitude des écrans proposés. Cet éparpillement du plaisir détricote la mythologie. Le public toujours aussi nombreux consomme les images avec boulimie.  Les traces s’estompent doucement devant l’immédiateté  et l’oubli. L’instant gomme la mémoire… Que reste-t-il des impressions ? Sommes nous, comme Thomas devant l’abstraction de nos désirs ? Ne sachant plus quoi regarder  pour nous émouvoir. Sautant d’un écran à un autre comme un jeune cabris fou d’aboondance. C’est peut-être là, le point de l’abstraction. A trop démultiplier les envies, on en oublie le plaisir. Revoir Blow Up pour comprendre  le temps pictural, son interrogation. C’est aussi, une belle leçon de cinéma, dans ce qu’il a de plus pur. Un retour au primitif du muet.

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