

Reconnaissons l’étrange mimétisme entre Michael Fassbender, interprète d’Harry Hole dans Un bonhomme de neige (septième roman mettant en scène Harry Hole) de Tomas Alfredson, sorti en 2017 et Jo Nesbø .

Jo Nesbø n’est pas seulement un écrivain à la noirceur enviée c’est également un conteur qui vogue sur nos interrogations fantasques. Jouant avec nos malaises, nos nerfs, nos souvenirs teintés de terreurs. Refusez lecteur, lectrice de devenir un glouton littéraire, même si l’auteur vous prend par la main au fil des pages ! Il est malin le bougre. Freinez vos appétits et réservez les chapitres pour un plaisir feuilletonesque. Sortez vos dictionnaires de synonymes, cherchez les mots les plus expressifs pour qualifier le dernier roman du père d’Harry Hole. Personnage emblématique, cœur pourpre, qui revient en baroudeur dans Éclipse Totale. Le 13e opus est une pièce non négligeable du puzzle. Même si, soyons en sûrs, d’autres compléteront le portrait complexe d’Harry Hole. Mais que reste-t-il d’un personnage en souffrance, laissé pour mort, enfin très mal en point, au fond du trou, dans Le Couteau (août 2019) ? On aurait pu croire à une fin nihiliste du personnage ! Y aurait-il un syndrome Conan Doyle ? A savoir un auteur fatigué de son héros trop encombrant (pesant), qui prend la plume pour trucider son personnage fétiche. Les héros peuvent être récalcitrants à la volonté de leur auteur. Cinq ans plus tard revoilà Harry Hole sur les rails. Le héros norvégien renaît, fatigué, cabossé, en lutte permanente contre le verre de trop (1). Viré de la police, il a fui, traversé l’Atlantique jusqu’a la Cité des anges (Los Angeles) avec comme seule officine les bars qui n’ont jamais réussi à parfaire l’oubli. Comment tuer le passé si ce n’en est en se supprimant, pour anéantir une vie qui se résume à « malchance et mauvais scénario » ? Mais il suffit de pousser une porte pour qu’apparaisse un ange déchu, mais un ange. Lucille, une actrice sur le retour (on pourrait presque faire un casting – je penche pour Gloria Swanson), couverte de dettes et dont les créanciers ne sortent pas d’une école de commerce. Que ne ferait-on pas pour sauver une femme qui a la même regard que sa mère tant aimée ? Elle vaut la peine d’arrêter de fuir. Il a dix jours pour rembourser la dette de sa malavisée aux nombreux chats. Pas un sou en poche, il accepte de devenir le chien de chasse d’un magnat de l’immobilier d’Oslo qui se trouve embringué dans une affaire louche qu’Harry doit résoudre avant la police, et blanchir plus blanc que blanc le promoteur de tous soupçons. Une affaire de double meurtre. Il ne sera payé qu’après avoir trouvé le coupable. Les ingrédients sont là. Tout un univers de trahisons, de chantages, de trafics empoisonnent les corps et les esprits. Méandres et équilibre précaire psychique sur le boulevard du crépuscule à Oslo. La couleur, un noir et blanc sale. Une ambiance gluante qui colle aux pages, rappelant un certain cinéma aux personnages sans avenir (Robert Aldrich et son En quatrième vitesse). Jo Nesbø n’y va pas par le dos de cuillère, il aime ces arrière-cuisines puantes d’un monde en sursis. Recette glauque et mortelle, sans raffinement. Oui, l’horreur est là. Le dégoût au bord des lèvres. Certains pensent, à tort à du Grand-Guignol. Qu’importe si on a l’ivresse de l’intrigue aux rebondissements multiples. Ils collent à la peau. Jo Nesbø remet au centre, son personnage fétiche désarticulé et renvoie au fil des pages à un passé sombre tortueux. Cicatrices au cœur et au visage, déglingué mais bien vivant et déterminé à chasser les tueurs et les parasites. Alors pourquoi ne pas s’accouder au bar et écouter et peut-être fredonner avec Lucille, Hey, That’s No Way To Say Goodbye… de Léonard Cohen.
(1) Voir la recette de Keith Richards des Stones dans sa bio. Quelques conseils : Outre se fixer une limite, les règles sont de compter les unités absorbées, d’avoir des jours fixes sans alcool…
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