Il y a toujours un plaisir particulier à retrouver les images de Denis Gheerbrant. Le réalisateur filme avec l’attention de ces artisans faisant le tour de France en quête de perfection. A la rencontre de l’autre, dans l’apprentissage de l’égalité. Il écrit l’image en souplesse, sans oublier le temps. Ne pas se blaser devant l’immobilité du paysage. Parfaire notre regard au-delà des préjugés. C’est toute la légèreté de ses films que de faire oublier la précision de l’artisan sur son établi. « Mille fois tu recommenceras ! » Le geste droit, l’axe de la caméra affuté, Denis Gheerbrant ose prendre son temps et celui de ces invités qu’il filme avec justesse. Il nous propose un ajustement de nos vies à l’histoire. N’est-ce pas le thème du dernier documentaire de Denis Gheerbrant écrit avec Lina Tsrimova, d’après une idée originale de Frédérique Longuet-Max ? Avant que le ciel n’apparaisse ne déroge pas à la règle sociale dont se nourrissent tous ses films. Cette fois-ci, une partition écrite à quatre mains. Ce qui permet d’aborder le documentaire avec une curiosité pimentée. Lina Tsrimova, fille du peintre Rouslan Tsrimov, fil rouge du film, rejoint Denis Gheerbrant au filmage. Le documentariste et sa quo-scénariste nous ouvrent les pages d’une histoire inconnue de beaucoup. Celle du peuple tcherkesse, guerriers de la petite république du Nord du Caucase. La fierté de ce peuple est d’être l’un des derniers à avoir résister à l’invasion de l’armée impériale russe à la fin du XIXe siècle. Un symbole. Peuple libre qui a remis toute sa destinée entre les mains d’un mythe ancestral, l’épopée des Nartes. Le portrait du film est brossé. La recherche peut donc commencer par une question qui jalonnera le film : comment filmer la résonance des traditions, les mythes qui les construisent et qui engendrent les épopées ? Le premier plan du film : des chevaux en liberté. Le symbole est fort et se déroulera sur la durée du film. Le peintre Rouslan Tsrimov nous guide sur les chemins sinueux de la mémoire. Une quête. Celle de dépeindre l’épopée Nartes. La parole, les écrits, la peinture et la danse. Notre couple de réalisateurs pose la caméra, là où il faut, au centre de la pensée tcherkesse. A nous d’appréhender cet espace offert par les deux auteurs. Le film n’est pas fermé, sclérosé par un scénario figé. Ici les images laissent une grande place à l’espace, à celui du spectateur, qui ici porte si bien son nom. Vous êtes spectateur d’un fait rare, qui va peut-être au-delà de l’écran. En toute conscience, vous participez avec ces villageois, artistes, historiens à la réflexion sous-jacente qui traverse le film : la mémoire culturelle et historique d’un peuple. Film juste en ces temps ou l’on déboulonne les statues alors qu’en d’autres temps, les Soviétiques gommaient des livres d’histoires l’identité tcherkesse. L’oubli n’a jamais fait bon ménage avec l’Histoire. C’est la parole claire d’un film qui résonne en nous. Une nouvelle fois Denis Gheerbrant, avec cette fois Lina Tsrimova, saisit la matière cinématographique comme d’autres sculptent la liberté. Celle d’un peuple, qui à travers le langage, le chant, l’interprétation ou encore l’expression artistique revendique la vie comme passeport. Tcherkesses, pas mort.
Avant que le ciel n’apparaisse de Denis Gheerbrant et Lina Tsrimova a été sélectionné au 43e festival international du film documentaire, Cinéma du Réel du 12 au 21 mars 2021.