Akerman

Si la mère rit,c'est peut-être pour que la fille puisse pleurer

Inès Tabarin

Il y a du proverbe dans cette maxime. Une réalité que la cinéaste Chantal Akerman transmet avec une délicatesse affective. Ma mère rit (Imaginaire/Gallimard) est une réédition. Qu’à cela ne tienne. Il faut des initiatives de ce genre pour que de nouvelles générations découvrent les auteurs.es qui vont pimenter leurs curiosités. Chantal Akerman est de celles-là. Le silence des images est sa signature, si singulière que l’œuvre construite en devient unique. Ce n’est pas la seule auteure. Le cinéma imprime nos mémoires de chefs-d’œuvre aujourd’hui invisibles, mais Chantal Akerman reste particulière dans son approche et ses attentes. Elle acte de sa personnalité en nous accordant son imaginaire, si quotidien. Il en devient fantasque. Une signature qu’il ne faut pas négliger, elle en fait son cinéma. Un filmage littéraire signe ses films. Aujourd’hui, l’instant audiovisuel gomme le temps de l’excellence. L’oubli devient politique. Chassons d’un revers de main ce qui nous semble en dehors des clous. Chantal Akerman en résistance. Ne l’a-t-elle pas toujours été ? Et l’on comprend, peut-être un peu mieux, cette démarche volontaire. Ce besoin littéraire dont le cinéma reste une trace. Des mots, des fragments d’images laissés comme autant des cailloux blancs au fil des pages de l’essai. Ma mère rit est un scénario en attente de film, tout en restant un livre entier, se suffisant à la lecture. L’ouvrage est un autoportrait, un miroir. Le reflet. Ne sommes-nous pas l’autre ? Nous voilà dans  un conte ! Spectateur face à un écran. Miroir, mon beau miroir. Maman, ma chère maman ?  Fuir, pourrait-elle écrire ! Et nous, et vous ? En avons-nous le courage ?  Chantal Akerman la fait, en convolant en juste noce avec le 7e Art ? Une façon de s’approprier le regard de la mère. Ses interrogations sociales, l’homosexualité, l’absence du mari, de l’enfant… Un vide qui s’inscrit dans l’intime. Ce que l’on ne dévoile pas, où si peu. Ma mère rit est un cheminement d’auteure à la recherche de l’autre. Un rapport filiale que les mots dessinent comme autant de cases d’un story board. Chantal Akerman est une cinéaste du verbe, de cette précision que certains définissent comme “brut”. Qu’à cela ne tienne, l’ouvrage que vous avez entre les mains est un manuel cinématographique. Un montage des mots, des images présentées et peut-être le film que nous attendons tous.