ARTAUD et le cinéma

N'EST PAS MARAT QUI VEUT !

Le temps suspendu à un clap. Ainsi pourrait-on résumer la vie cinématographique d’Antonin Artaud. L’homme de lettres se brûla les ailes face aux mirages cinématographiques. Né le 4 septembre 1896, il est compagnon d’écriture d’Apollinaire, de Desnos, entre autres. Ceux-là écrivent sur le cinéma et pour le 7e art. Le celluloïd colle à leurs talons. Un enthousiasme sans limite pour ce nouveau spectacle populaire qui englobe à lui seul les arts majeurs. Cela sent bon la révolution de tous les possibles artistiques. Un rêve qui sera de courte durée. Le cinéma est une machine qui broie l’imagination, les espérances d’un renouveau artistique de ce début du XXe siècle qui voit naître le surréalisme et le dadaïsme. Quel espace offrir au déconstructiviste ? Aucun ! Le cinéma est un art pantouflard qui chausse l’économie comme des bottes de sept lieues.
De quel coté se placer pour sauver sa peau d’artiste ? Antonin Artaud, face à la caméra ? derrière celle-ci ? Laissez-moi apprivoiser le langage pourrait-on entendre. Il en sera autrement. Le sait-il lorsqu’il débarque à Paris pour rejoindre l’Atelier de Jacques Dullin puis celui de Jacques Copeau. Il commence à coucher sur papier des pièces de théâtre sous le regard bienveillant de Pitoëff. Le voilà même metteur en scène au théâtre Alfred Jarry. Mais c’est le cinéma qui l’attire de mille feux. En 1924, nous sommes loin des balbutiements des frères Lumière. Les règles et les protocoles sont déjà coulés dans le béton (elles ne changeront plus). La puissance de l’industrie s’est démultipliée depuis la Grande guerre. Artaud offrira son jeu aux ombres vampiriques du cinéma impressionniste allemand. La rencontre avec Pabst, L’opéra de quatre sous n’est nullement le fruit du hasard.
Il fait peur Artaud ! Pas aux dadaïstes qu’il fréquente. Il leur offre sa plume. La Coquille et Le Clergyman de Germaine Dulac signent cette complicité. Artaud dira et le répétera à qui veut l’entendre « Qu’on ne lui offre pas ce besoin d’être à l’image ». Il est en manque. Le cinéma : un malentendu poétique.
Ainsi s’écrit sous la plume de Lorraine Dumenil, (Artaud et le CinémaNouvelles Editions Place), le portrait complexe d’un artiste trop proche de la liberté pour ne pas ressentir cette apesanteur, ce mal-être existentiel, dont il ne contrôla pas les effets. Pourtant des rencontres forgeront sa présence : Le juif errant de Luitz-Morat, La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer, L’Argent de Marcel L’herbier, Les Croix de bois de Raymond Bernard… Il promena sa silhouette de film en film (22 en une décennie) rongé par cette hantise toujours vive, celle d’un homme de théâtre à qui on a volé son ombre. Le cinéma ou la malédiction de Méphisto. Le 7e Art ne reprend jamais ce qu’on lui donne.
L’écriture de Lorraine Dumenil reflète avec justesse la soif de liberté de ce théoricien de l’image (entre autres). L’écriture avant tout ! Au moins, le verbe ne trahit pas. Pourtant, c’est l’écran qui figera sa silhouette. Dans la violence d’un regard fiévreux, celui qui représente peut-être l’absolu liberté : Marat, dans le Napoléon d’Abel Gance.