Bob Morane

Le groupe Indochine fête en cet an 2 de Covid les quarante ans de leur formation. Groupe français unique par sa longévité, et collectionneur d’autant de tubes qu’ils ont d’années d’existence, plus même. Les voilà sur les starting blocks prêts à avaler les kilomètres de l’Hexagone comme des aventuriers de la scène musicale qu’ils sont restés. Est-ce un hasard si leur premier hit est l’Aventurier dans lequel Bob Morane tient le rôle principal ? Hymne à un héros. Bob Morane né sous la plume d’Henri Vernes a fait chavirer plus d’un adolescent des années 60 et 70 dans l’aventure ethnographique dont Indiana Jones reste l’enfant prodige… De son vrai nom Charles-Henri-Jean Dewisme, bourlingueur et résistant (il rencontra Jean Ray avec qui il se lia d’amitié), Henri Vernes devient, après la guerre, journaliste puis à la demande des éditions Marabout qui désire créer une collection d’aventure. Cela sera Bob Morane en 1953. Le premier volume, La Vallée infernale, rencontre un vrai succès. Nous sommes dans l’après-guerre, le personnage doit avoir les attributs d’un héros. Il sera ancien pilote de chasse de la RAF. Job qui lui servira pendant de nombreux récits. Comme bon nombre de héros, Bob est bien entouré. Tout d’abord, Bill Ballantine, d’origine écossaise pour certains, aristo qui aurait oublié les convenances pour d’autres. Personnage indéfinissable au coup de poing définitif. Mais aussi la belle Sophia Paramount, photographe reporter. Chic et choc est sa meilleure définition. Pour compléter le trio d’amis, le professeur Clairembart, archéologue de renom. Cliché du savant lunaire. Il vit dans une grande maison bourgeoise où le capharnaüm règne en maître. Mais rien de mieux que le désordre pour retrouver un indice ! Notre attelage voyagera dans le monde entier et particulièrement dans les contrées les plus reculées. Clin d’œil manifeste au roman de Conan Doyle Le Monde Perdu. Le groupe posera définitivement son barda au bout de 190 romans. Comme le docteur Jones, il faut savoir se poser pour ne pas entreprendre une aventure de trop. La sagesse d’Henri Vernes sera récompensée. L’auteur est resté discret sur le nom de son personnage. Il avouera simplement un indice, ” Morane, on le doit aux Massaï. C’est le nom donné à tous les guerriers qui tuent leur premier lion “. Maîtriser la peur pour mieux la combattre. Pas de place pour l’inaction, voilà le crédo des romans. Une devise. On la retrouve dans la nervosité de l’écriture due, reconnaissons-le, au nombre de pages imposées par l’éditeur. Romans populaires, romans de poche, romans de gares. Ici rien de péjoratif. Simplement le plaisir du temps, celui de déguster un exotisme sans réelle attache. Les couvertures témoignent de cet imaginaire. Dessin très soigné que l’on doit à Pierre Joubert. Un style rappelant ces affiches de cinéma qui garantissaient aux spectateurs une épopée hors du commun… Nous ne sommes pas loin des films de série B. De ces promesses qui allaient nous en mettre plein la vue. Alors pourquoi, Bob Morane n’a-t-il pas intéressé le cinéma. Ou si peu. Pourtant les écrits d’Henri Vernes sont à l’image d’un film. Parfaitement scénarisés. Une seule adaptation, invisible aujourd’hui, a été réalisée en 1960, L’Espion aux cent visages avec dans le rôle de l’aventurier Jacques Santi que l’on retrouvera plus tard dans le rôle de Tanguy (Les Chevaliers du ciel). Réalisateur inconnu. Film fantôme. Un lourd silence radio,  jusqu’à la rumeur venant du Canada : une adaptation serait en préparation. Une co-production franco-québécoise initialisée par Christian Larouche avec au générique Jean Dujardin. Un rêve ? L’acteur n’a pas dit non. Un signe ! Rêvons que les soucis de droits se lèvent comme par miracle. Pendant ce temps, laissons-nous porter par l’auteur qui a su offrir sur quatre décennies des romans flirtant avec le fantastique, l’exotisme, l’étrange. L’homme aux 30 millions d’exemplaires reconnaît l’influence de Jean Ray et particulièrement de son personnage Harry Dickson. Cela suffit à mieux comprendre le cheminement littéraire d’Henri Vernes. Des bouquins qui pourtant restent de belles factures cinématographiques. Qu’à cela ne tienne le 9e Art, lui, reconnaîtra les siens. Est-ce dû à l’attachement de Vernes au milieu de la bande dessinée en tant que graphiste qu’il confia le crayon à Dino Attanasio en 1959, six ans après les débuts de Bob Morane. Attanasio ne sera pas le seul à se mettre derrière la table à  dessin, suivront Gérald Forton, Frank Leclerq, Séraphine Claeys, ainsi que d’autres comme Pascal Claude, Thos Yves… Un monde de bulles à faire mousser les aventures que se partageront les grands éditeurs de BD. Du strip à l’animation, il n’y a qu’un pas que franchissent allègrement, en 1998, les studios Cactus Animation. Une trentaine d’épisodes très librement adaptés des romans. Une liberté qui plait à Henri Vernes aussi bien par le traitement que pour le dessin “très libre”. La télévision française sautera le pas en proposant en 1963, 26 épisodes de 26 minutes avec Claude Titre et Billy Kearns pour Bill Ballantine. A noter que l’un des réalisateurs est Robert Vernay à qui l’on doit Monte-Cristo (les versions de 1942 et 1953). Les amateurs de Bob restent quand même sur leur faim ! Il reste les couvertures originelles. Romans dont les brocantes regorgent. Henri Vernes nous a offert ce cadeau. Ne le sous-estimons pas. Par les temps qui courent, il est bon d’avoir la niaque d’un Bob Morane. Il fait partie de ces héros que l’on emporte avec soi pour relire ses aventures dans la caverne de Platon.

Claude Titre (Bob Morane) et Billy Kearns ( Bill Ballantine) dans la série TV