Cheyenne Carron Peintre

 ©Cheyenne Carron

La rizière du temps

Le cadre tout comme l’horizon reste éphémère. Ils sont l’instant d’un regard. La cinéaste Cheyenne Carron à qui l’on doit La Beauté du Monde (2021) et Le Fils d’un Roi (2019) parmi sa nombreuse filmographie, propose de nous interroger dans son livre Survie, le monde d’après (Éditions Hesiode) sur l’instant. Ce moment en suspension. Celui d’après. Au fait ! Après quoi ? Peu importe la catastrophe puisqu’il y a reconstruction… La question est dans l’absence. La volonté de l’artiste de dissoudre le futur que l’on s’efforce d’imaginer autre ? Pourquoi sommes-nous accrochés à un point ? Souvent indéfini. Avec cette apesanteur du regard comme ligne de démarcation. Cheyenne Carron aime l’espace – son prénom n’y est certainement pas étranger. Nous ne sommes pas dans l’infini, encore que cette absence de lignes de force dans une grande partie des œuvres présentées dans l’ouvrage nous impose de nous approprier l’espace, sa profondeur, son volume. Le monde d’après comme un souvenir de la catastrophe. Qu’avons-détruit ? C’est notre mental qui se joue des brumes grises. On attend qu’elles se dissipent pour voir l’étendue des dégâts… Les œuvres imposent le silence, il est pesant. Peut-être-même a-t-il une couleur, un bleu-gris par exemple qui souvent imprègne les tableaux… Brouillard épais qui refuse de se dissiper. A nous de percer le mystère. Notre mystère… Nous sommes imprégnés par cette sensibilité, une émotion souvent diffuse que l’on retrouve dès les premiers travaux cinématographiques de Cheyenne Carron, avec son  approche du cinéma expérimental. Le temps et l’abstraction. Celui de la mémoire. Un souvenir qui se fond dans la brume picturale de l’œuvre. L’artiste nous offre cette possibilité rare de voguer dans l’infini. Non pas pour s’y perdre, mais pour essayer de retrouver une bribe de nos sentiments égarés. On ne peut pas nier la bâtisse, bunker ou coffre fort ? Au choix. Omniprésente, sans fenêtre, posée là ! Ne nous rappelle-t-elle pas cette mémoire endormie (oubliée) de chacun d’entre nous. La signification est peut-être trop simple ! Mais à y réfléchir, nous avons le droit de nous poser la question ? Que renferment ces bunkers, si ce n’est quelques secrets trop bien oubliés. Des souvenirs de l’avant ? Peut-être ! Peu importe d’ailleurs puisque l’artiste a réussi son pari. Celui de nous proposer des clés pour ouvrir notre boîte de Pandore. A nous de faire le premier geste. En avons-nous le courage ? Voir autre chose que ce que l’on nous montre ? L’ouvrage est à feuilleter selon vos envies, vos voyages. Il ne faut pas avoir peur de ce que l’on ne perçoit pas de prime abord. Revenez de quelques pages, là où l’œuvre vous a interpellé.ée. Alors commence ce voyage dont vous êtes le. la seul.e à connaitre l’exacte destination.