Corinne Luchaire

Préface Pierre Barillet, CAROLE WRONA, Corinne Luchaire, un colibri dans la tempête. Les éditions du 81. Prix 20,90€

 

La Pompadour du 3e Reich

Six ans (1935-1940), dix films, l’espoir du firmament, le rêve de toute jeune fille de 16 ans. N’est-elle pas une des trois “Vamps” avec Annabella et Viviane Romance de l’avant-guerre que certains comparent déjà à Greta Garbo ? Comme Icare qui se brûle les ailes, Corinne Luchaire se consumera de sa propre intensité. Fille du patron de presse Jean Luchaire qui manœuvra adroitement pour ouvrir les portes des studios à sa fille au cas où. Il avait le nez creux le parternel. La fraîcheur d’interprétation révélera une actrice de talent avec ce plus, si particulier, que possèdent certaines comédiennes, celui de dompter la lumière des sunlights. Visage et silhouette s’accommodant du moindre contre-jour. Un clair-obscur qui accompagnera Corinne Luchaire tout au long de sa courte carrière. En effet, elle s’arrangera des dîners mondains organisés par son père, déjà en amabilité avec les représentants du régime nazi. Pauvre petite star aux frontières de la guerre, qui ne voit le mal qu’en ceux qui l’empêchent de se glisser au niveau des plus grandes. Qu’importe le bruit des bottes si l’on entend l’annonce du clap. Peu importe Paris envahi si l’occupant vous procure les privilèges insouciants des soirées dans lesquelles on continue de briller. L’ouvrage de Carole Wrona Corinne Luchaire, un colibri dans la tempête, retrace au fil des 250 pages bien plus que le portrait d’une actrice se sachant condamnée par la tuberculose dans la tourmente de l’Occupation. C’est le cliché d’un temps collaborationniste où nombre d’artistes et de lettrés ont oublié le front et les privations de la population. C’était un temps où pour certains la guerre devenait celui de la revanche. Cette petitesse d’artistes sans talent.
Dans la biographie de Corinne Luchaire, l’armistice (1940) ne signe pas seulement la fin de la drôle de guerre mais aussi de façon brutale, celle de sa carrière. Cette maudite tuberculose qui la ronge et l’empêche de partager la vedette avec son ami Charles Trenet dans Romance de Paris. Trop tousser sur un plateau ne présage rien de bon. L’accident ensuite, rue Charon, après une soirée trop bien arrosée. La voilà sortie du véhicule broyé. Enveloppée de son long manteau de fourrure blanche tâché de sang. Une scène fantomatique qu’aurait pu écrire pour elle le scénariste Henri Torres. Son aura se contentera du papier glacé de son éditeur de père, de son élégance toute parisienne proposée aux regards des officiers allemands… De sa voix sur Radio Paris. Ne joue-t-elle pas dans la même cour qu’Arlety ?
Plusieurs propositions échelonneront cet avenir devenu désert. Des oasis cinématographiques qui ne sont que mirages. Celle que l’on nomme “La Pompadour du 3e Reich” s’enferme dans la négation de son futur. La dramaturgie s’écrit au fil de l’avancée des alliés. Tout devient moins resplendissant jusqu’à l’arrestation : son père fusillé, Corinne, frappée d’indignité nationale. Est-ce que cela  à beaucoup d’importance alors qu’elle se sait dans la dernière ligne droite de son existence ? Reconnaissons que certains titres de ses films semblaient annonciateurs de cette mise en abyme. Si cela commence bien avec Les Beaux jours de Marc Allegret, on comprendra, malgré son succès que Prison sans barreaux de Jacques Rémy scelle la prédiction. Le Déserteur signé également par Jacques Remy ainsi que Conflit sans parler du Dernier tournant de Pierre Chenal, première adaptation du Facteur sonne toujours deux fois de James Cain, un titre à lui seul prémonitoire, à un an de l’entrée en guerre. Une sortie de route dont la comédienne ignore encore les conséquences. Ainsi s’écrit l’histoire du cinéma, dans la découverte pour beaucoup de cette comédienne décédée en 1950 à  vingt-neuf ans. Célébrée à 17, paria à 25 ans. L’oubli. Pas tout-à-fait, à vous de découvrir cet étrange destinée.