Un film de Marc Dufaud et Thierry Villeneuve. En salle le 24 juillet 2019
En 1965, Jack Kerouac, auteur de Sur la route, fait escale à Paris, avant de se rendre en Bretagne à la recherche de quelques improbables ancêtres (1). Il remonte la rue Gît-le-Coeur (centre du Quartier latin). Au numéro 9, se trouve le Beat hôtel où séjournèrent les grandes plumes de la Beat Generation. Mais pas Kerouac. Empruntant le même itinéraire, Daniel Darc remonte la rue comme un cour d’eau qui mène à la source. Plan furtif sans être court, se logeant aux trois quarts du documentaire consacré au chanteur et parolier du groupe Taxi Girl. Le plan, dans son unité, est fort, résumant la recherche initiatique. Une articulation beat. La solitude enivrante du poète. Daniel Darc est un rocker, punk dans sa sincérité. Le documentaire de Marc Dufaud et Thierry Villeneuve nous livre un moment rare du rock. Non convenu. Un joyau à l’état brut. Punk-rock, mais pas que ! On y croise verbalement Bob Dylan, Patty Smit, Lou Reed… Mais également des ombres oubliées d’un mouvement musical qui se revendiquait sans avenir. Un No Futur inscrit dans les poèmes de Rimbaud. Poète au romantisme écorché Daniel Darc se livre jusqu’à la mort. Il ne connaît pas d’interdit devant la caméra de son pote. Même si la question de montrer un shoot filmé aura nécessité aux deux réalisateurs un long échange avant de laisser passer le plan. Gueule d’ange fracassé, au regard noir. Ce qui ne signifie pas inquisiteur. Daniel Darc a laissé les jugements nauséabonds à beaucoup d’autres qui l’ont abandonné sur le bord de la route avec comme compagne l’héroïne. La rock solitude dans ses tripes, voguant de nuit en nuit à la recherche de l’absolution. Croyant, il vit l’enfer sur terre pour gagner le paradis. Dieu a toujours préféré les anges déchus aux culs bénis. La maturité du chanteur s’inscrit dans tout le film, offrant une complicité séduisante envers le spectateur. Il est rare de voir défiler devant nos yeux un film contenant 25 ans de prises de vues. Vingt-cinq ans de vies. Il faut une sacrée dose d’amitié pour offrir ainsi sa confiance en oubliant toutes trahisons possibles. Daniel Darc interpelle avec la même complicité les différents supports qui l’ont filmé. Peut importe qu’il s’agisse de « super 8 », de VHS, de 16mm dont les séquences sur une atlas (table de montage cinéma) terriblement anachronique pouvant signifier cette obsolescence du temps véhiculé en filigramme tout au long du documentaire. Une volonté des réalisateurs qui, en intégrant divers formats numériques, impose une unité de temps. Celui du cinéma. Un cinéma cher à Godard. Dont Daniel Dar était un admirateur. Un film de cinéma, un film rock. Un film brut, incandescent. Daniel Darc Pieces of My Life est un puzzle qui se construit dans la sincérité de la confession, celle d’une identité à reconnaître. On y feuillette les images comme on tourne les pages des Clochards Célestes de Kerouac. La même intensité s’y inscrit. Certains écriront peut-être : la même approche spirituelle au vivant. Il y a un plan qui résume cette sensation. Daniel Darc est assis, à l’écart sur une estrade dressée. A quelques pas, debout, le poète Allen Ginsberg déclame, invité par une enseigne culturelle, lors de sa venue à Paris. Regard émerveillé, ému devant le poète beat. Emotion intacte. Les mondes fusionnent ! La même puissance que ce plan fixe d’un Bon Dylan immobile devant la tombe de Jqck Kerouac (2). Le cinéma rock a cette force évocatrice qui inscrit l’histoire de ses protagonistes dans le temps musical. Le rock est un acte citoyen, humain, revendicatif, destructeur. Le film de Marc Dufaud et Thierry Villeneuve signe une œuvre intime qui donne un goût bien fade aux derniers biopics. Un cinéma à l’écriture tranchée. Au phrasé direct. Au verbe précis. Ainsi va les Pieces of My Life que chantait Elvis Presley. L’icône de Daniel Darc. Le père de « tout » ce qui va bouleverser la musique et les adolescences en devenir. 1953, le rock était né et Kerouac déjà sur la route.
(1) Satori à Paris (1965)
(2) Ronaldo and Clara (1978)