Le Voyage dans la lune (1902) George Méliès, colorisé au pochoir et au pinceau
La flamboyance du Technicolor. Pêché mortel (1945) de John M.Stahl avec Gene Tierney
La philosophie est-elle une couleur ? Si oui, laquelle ? L’ombre d’une teinte peut-être, suffisamment indécise pour ouvrir le débat et lire l’ouvrage de Claude Romano. Livre passionnant nous renvoyant par son titre, De la couleur, à la réflexion de Jean-Luc Godard dans son film Passion, réalisé en 1983, sur l’humain et la peinture. Un réalisateur polonais Jerzy à la recherche de la perfection picturale. Caméra en batterie, il veut se hisser à la hauteur d’un Rembrandt en reproduisant avec ses comédiens le tableau La Ronde de nuit (1642) mais aussi les œuvres Tres de Mayo de Goya (1814) La Petite odalisque (1827) de Ingres ou encore Entrée des croisés dans Constantinople (1840) de Delacroix. Godard, en alchimiste, cherche l’exactitude à travers la lumière des peintres ! Teintes, couleurs, éclairages, expressions des modèles. Aussi besogneuse que peut être l’approche du metteur en scène interprété par Jerzy Radziwiłowicz, il ne s’agit que d’une mise en situation. Une représentation, rien qu’une reproduction. Le cinéma n’a pas inventé la couleur mais un noir et blanc des origines. La couleur, elle, dans sa complexité, s’est jointe à la découverte du cinématographe. Un compagnonnage des premières bandes. En 1902, Méliès est l’un des premiers à faire teinter les photogrammes de son film Le Voyage dans la lune (1), par des ouvrières minutieuses maniant le pinceau fin avec dextérité. Des artistes qui coloriaient les cartes postales. De quelles couleurs disposait-on ? Le bleu pour le ciel, l’ocre pour les sols, le vert pour la nature, quelques teintes nuancées, dont le rose pour le visage des personnages. Étrangement la nuit restait en noir et blanc. Conventionnel et représentatif de ce que l’on a envie de voir et reconnaître. Mais est-ce la réalité ? L’ouvrage de Claude Romano déchiffre avec attention le rapport que nous avons avec le prisme de la couleur. Tout comme les pionniers du 7e Art qui se posaient la question de sa reproduction fidèle, le Technicolor en a été un parfait exemple en sublimant le naturel comme marque de fabrique. Un naturalisme sophistiqué. « Une réalité de notre regard », pense Claude Romano. La couleur est une idée, celle de notre perception. Est-ce à dire que tout le monde voit la même teinte ? « Nuançons », signale l’auteur, la logique du regard est également psychologique, du moment, voire d’humeur. En quelque sorte un amplificateur des perceptions colorimétriques. Une échelle chromatique qui s’inscrit dans notre cerveau. Pour comprendre cette construction mentale, Claude Romano convoque autour de la table ceux qui font la réflexion. Descartes, Newton, Goethe, Wittgenstein mais aussi Schopenhauer… D’autres rejoindront la tablée. Pour ressayer de répondre à cette question « Qu’est-ce que la couleur ? » Elle est une affaire d’affect. Une représentativité du monde qui se veut « naturelle », les impressionnistes ont-ils peint autre chose ? Est-ce réellement le cas ? N’y-a-t-il pas une distorsion que chacun d’entre nous perçoit et que nous ménageons dans une sorte de convention des couleurs. « On va pas se fâcher parce que mon bleu est plus clair que le tient ! » C’est naturellement exagéré. Encore que ! Claude Romano démontre que cette distorsion est bien réelle. Personne ne voit tout à fait le même degré de couleur. Le livre est une promenade picturale dans lequel les différences approches : neurosciences, optique, philosophie, peinture s’invitent elles aussi à nous faire comprendre le phénomène. Une aventure, un dévoilement. Une curiosité qui a du bon. Et cela fait du bien. Au fait, la couleur existe-t-elle ? N’est-ce pas une vue de l’esprit ? Vous voilà prévenus. Le livre de Claude Romano est une recherche qui se lit avec la densité de certains polars. Tout un monde. Une énigme entière. De la couleur de Claude Romano a reçu le Grand Prix de la Philosophie de l’Académie française 2020.