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Le but de la quête
« QUICHOTTE : Considère bien, Panza, que ce qu’ils appellent folie, moi je l’appelle réalité. » Détournement fantasque, féministe et poétique de Don Quichotte.
L’image flottante se fixe dans le couloir du projecteur, immobilise sur l’écran le paysage désertique aux monumentaux moulins à vent. En un instant, le photogramme se consume laissant un écran vierge. Don Quichotte (1957) d’Orson Welles est un film maudit. Don Quichotte est maudit pour celui qui aura en tête de l’adapter au cinéma. Cervantès, ce géant de la littérature, pouvait-il imaginer un sort si funeste à son œuvre majeure ? Et si la raison était ailleurs ? A voir du côté de Dulcinée. Cette paysanne que Don Quichotte de la Mancha devine être la représentation idéalisée de l’amour impossible, auquel le chevalier veut rester fidèle. Mais voilà, cette impression fantasmée se révèle, peut-être, autre. Celle d’un fantôme qui prend forme. Une représentation que la moitié du monde pensait impossible, à laquelle n’avait jamais envisagé Cervantès. Et pourtant la quête de Quichotte n’était pas terminée. Elle se faufile entre les lignes d’une auteure, Monique Wittig qui, en 1985, écrivit une œuvre en forme de détournement, un kidnapping assumé. Fantasque et féministe. Il ne s’agit pas d’un pamphlet mais bien de revisiter le mythe de Don Quichotte au féminin, et tant mieux si cela fait grincer quelques dents. Une pièce en lettres CAPITALES. Un acte militant et beaucoup de rebondissements à désarçonner Don Quichotte lui-même. Une affaire de reconnaissance. Jouée l’année de sa création au Théâtre du Rond-Point. La pièce Le voyage sans fin (L’imaginaire-Gallimard) retrace l’itinéraire du renouveau égalitaire qui prit naissance en 1968 avec le MLF. La pièce de Monique Wittig, on l’aura compris, offre une nouvelle lecture du roman de Cervantès. Un dépoussiérage d’une belle créativité. Ici, Quichotte est une femme chevalier errant, passionnée de livres et d’écriture, érudite, en quête de justice et de liberté (qui ne se conjugue pas qu’au masculin). Elle est accompagnée de son écuyère, Panza. Nos héroïnes affrontent nombre de péripéties forgeant l’imaginaire d’un nouveau monde. Elles aussi combattent le côté obscur des mots et de leurs significations. Deux « guerrières » qui esquissent à coup de fusain, sans jamais caricaturer, le portait d’une société qui s’écrit au féminin. L’habilité de l’auteure est de ne pas brusquer. Elle déjoue les pièges et s’amuse des conventions. Il y a de l’Antonioni dans ce savoir-faire (Zabriskie Point – 1970) destructeur. Appuyer là où cela fait mal avant l’explosion finale. Monique Wittig nous offre une expérience hybride. Théâtre, cinéma et gestes calligraphiés. Le mot comme quête. Une aventure originale intégrant par touches la politique comme carburant. Coréalisé avec Sande Zeig, la pièce avait boosté les énergies. Elle n’a pas pris une ride. Vous pouvez sans attendre relire ce texte si percutant qu’aujourd’hui encore il arrive qu’on en parle comme une œuvre d’avant-garde. Peut-être que le terme manifeste serait plus adapté. L’aventure féministe est là. A chaque réplique. Une claque.