VIVRE, QUOI D'AUTRE
Le film du réalisateur Giovanni Troilo est un road movie initiatique. Libertaire dans son approche, par son graphisme et son montage, pouvant rappeler les surréalistes. Peut-il en être autrement lorsque le documentaire suit les traces de Frida Kahlo, artiste peintre et pionnière féministe. Révolutionnaire dont le corps torturé rendra l’artiste farouchement hostile à tout compromis artistique et social. Indomptable. Mordante, aux graphismes ancestraux. Une aventure qui n’aurait peut-être jamais existé sans l’accident de car avec un tramwaydont la jeune femme fut victime le 17 septembre 1925. 18 ans, et la silhouette fracturée. Vivante parmi les morts. Déjà atteinte d’une poliomyélite qui gangrénera son corps jusqu’à la paralysie définitive et se sachant définitivement condamnée, la détermination sera d’autant plus forte. Au diable la vie lorsque la mort vous tend les bras. Frida Kahlo est une artiste avant tout. Un souffle, celui de Pancho Villa peut-être, une silhouette, la sienne, reconnaissable, mexicaine jusqu’au bout des ongles, s’appropriant l’iconographie précolombienne. Sauvage dans son relationnel avec le peintre Diego Rivera. La belle domptera l’ogre. Deux silhouettes diamétralement opposées qu’elle mettra plus d’une fois en scène dans ses tableaux. Frida, jusqu’à l’étouffement. Un Je t’aime moi non plus que l’on conjugue aussi au Mexique. Le couple d’artistes s’unira pour mieux souffrir, avant de se retrouver. L’échappée belle dont la rage de peindre devient une force politique. Frida ne rejoint-elle pas le parti communiste ? Jusqu’où peut dériver la détermination d’une femme dont le corps refuse l’enfantement ? Le corps, toujours le corps que structure un corset emprisonnant le torse. La polio est là, rongeant, irrémédiablement jusqu’à être amputée. Peindre dit-elle ! « Pourquoi moi ? »… « Parce que je suis le motif que je connais le mieux. » Vive la vie ! N’est-ce pas révolutionnaire ? Toujours en résistance. Se reconnaître à travers les œuvres de l’artiste, celui ou celle qui le voudra. L’insensibilité n’a pas de prise. L’héroïne est puissante, volontaire jusqu’à faire craquer un Léon Trotski réfugié au Mexique. Il en sera de même avec son voyage à Paris lors de sa rencontre avec les surréalistes. Peu importe les mondanité, son intransigeance fera de ses expositions le succès qu’elle attendait. La célébrité se conjuguera avec le début de son journal. Un besoin intime. Se confier à elle-même. Qui d’autre ? Son talent est resté présent dans les témoignages captés par la caméra. Comment raconter une artiste autrement que par le puzzle des regards ? Le film de Giovanni Troilo soutenu par la voix de la comédienne Asia Argento offre une puissance épique au documentaire. Pictural dans sa démarche. Une calligraphie cinématographique traçant avec souplesse le talent et la tragédie de Frida Kahlo. Un voyage au bout du pinceau.