Funambules

FUNAMBULES, un film d’Ilan Klipper, en salle le 16 mars

Sur un fil

Les fantômes sont là. En nous, à quelques neurones de la “Raison”. Ils titillent nos pensées tels des farfadets jouant avec notre normalité pour mieux la mettre à l’épreuve. “Ôtez-moi ces empêcheurs de tourner en rond”. Quoi de plus reposant que la norme. Quoi de plus terrifiant qu’un regard qui perçoit votre environnement en faisant abstraction des conventions. Sommes-nous dans ce no mans’land, en territoire neutre, pas encore dans la folie, mais déjà un pied de l’autre côté du miroir ! Cette liberté du regard questionne. La caméra d’Ilan Klipper capte cette interrogation d’Aube, Yoan, Marcus…  Dehors/dedans ! Un espace qui n’est pas forcement le nôtre. Ils ne baissent pas les yeux. Ilan Klipper filme pour la seconde fois ce voyage aux frontières de la folie que revendique un des intervenants. On doit déjà au réalisateur un documentaire au sein d’un établissement psychiatrique Sainte-Anne, hôpital psychiatrique.(2010). Nous retrouvons cette même qualité du regard, évitant le voyeurisme, d’autres parleraient de complaisance. Il n’est est rien, naturellement. Le respect est là, dans l’échange voire la complicité qui s’écrit, la confidence que l’on entend. La mort qui respire. On regarde avant de filmer. On écoute avant de poser des questions, on observe la dignité avant de dire moteur. Filmer la marge. Se savoir en danger dans le respect de l’interlocuteur. L’étrangeté de Aube recluse qui attend son “Prince charmant”, un punk. Peintre ! Ses couleurs jaillissent tout comme les figures géométriques élaborées, l’ordre n’est pas dans le cercle. Yoan, 27 ans, au chemin chaotique, semble être détaché de tout. Lunaire, poète, il tient à écrire lui-même, avoir ses mots en bouche pour ne pas être trahi. Par qui d’ailleurs ? Son père ? Marcus est aujourd’hui décédé, il est mort quinze jours après la film du tournage. Suicidaire ayant développé le syndrome de Diogène. Filmer la fin, celle de la destruction. On coupe la caméra parce que l’on sait. Les médocs sont là sur la table. L’autodestruction de Marcus écrit l’évolution du documentaire, l’approche de l’impuissance sociale. Alice s’égare dans le labyrinthe et le fil se casse. On meurt d’avoir trop subi. Hors-cadre, hors-champs. Il reste une image, un plan, la séquence d’un homme vivant, en équilibre dans son espace de vie. Le film a cette pudeur qui le rend bigrement humain. Le documentaire d’Ilan Klipper fait partie de cette thérapie cinématographique qui fait du bien.  Le réalisateur nous invite à toucher du doigt l’autre que nous sommes. On effleure du doigt cette autre facette que nous refusons de percevoir pour ne pas perturber notre normalité au monde.