La Beauté du monde

Visible au Balzac et au Studio Galande (Paris). www.cheyennecarron.com

Entretien avec la réalisatrice  Cheyenne-Marie Carron

Ennemi interieur

La blessure peut être invisible… Là, bien réelle mais le sang ne coule pas. La cicatrice absente de la douleur. Et pourtant le son est présent, dans la fureur des armes lourdes qui crépitent, des explosions qui rendent sourd, la perte d’un copain qui venait de prendre votre place. Il vient de sauter sur une mine artisanale dans l’indifférence des vivants. Le mal gangrène la fierté des personnages du dernier film de Cheyenne-Marie Carron La Beauté du monde. La culpabilité d’être vivant. Amoché, amputé mais là, parmi les autres qui s’interrogent, eux, loin du terrain  vécu. Que reste-t-il de ces légionnaires revenus des opérations ? Des hommes, des femmes disloqués dans leurs corps, leurs têtes ? Entre deux rives. Pas encore ici mais déjà plus ailleurs. Citoyens que nous sommes, si loin, si près, nous ne les voyons qu’aux défilés. Applaudis parce que leur liberté se niche dans le refus de marcher au même pas cadencé que que les autres armes, de ne jamais séparer le corps devant la République, appliquant l’indivisibilité du citoyen et de la Nation. Comme tout cela semble aujourd’hui incongru. Hors normes devant la dégradation de ce que nos politiques n’arrivent plus ou mal à résoudre. Pourquoi nous arrive-t-il de penser à Casse-Noisette, l’œuvre de Tchaïkovski, pendant le film ? Le militaire n’est-il qu’un pantin pour nos politiques ? On est en droit de se poser la question. Le film de Cheyenne-Marie Carron n’est pas un film neutre. Sa démarche est celle d’une réalisatrice qui a des tripes. Il n’est pas simple d’oser. De se confronter aux regards de l’indifférence en France honorant les fêlures humaines comme autant de conquêtes. Un film de Cheyenne-Marie Carro est clair, aux images lumineuses, même (surtout) dans les contre-jours qui nous absorbent, aux interprétations ajustés. Nous le devons aux comédiens François Pouron (Romain) et Fanny Ami (Clara). Un couple de cinéma face au déchirement thérapeutique. Être femme de légionnaire, dont le mari ne se remet pas de son retour de guerre. Le secret qui brûle les regards, les non-dits comme armes létales pour mieux anéantir le couple. Ils tiendront bon. Chacun à sa manière. Chacun avec sa force. Une guerre qui sera gagnée ensemble. Le cinéma de Cheyenne-Marie Carron reste droit dans ses convictions. L’humain et les autres. Le film est un puzzle. Un jeu de reconstruction dans lequel chacun joue une partie qui n’est pas la sienne. Elles s’emboîtent. La construction se réalise dans l’écoute et la dernière partie du film tournée à l’hôpital Percy signe cette importance de l’autre. Des hommes et des femmes dans un groupe de parole. Militaires mais aussi un père qui a perdu un fils au Bataclan. Les blessés de la République sont présents. Face à nous. Ici, il ne s’agit plus de comédiens mais d’hommes et de femmes du front. L’échelle de notre regard de spectateurs change. La fin du  film s’affranchit de la fiction, se libère du carcan artistique pour nous offrir des témoignages sans fioriture. Brut de vie. Le film, le 13e de Cheyenne-Marie Carron, appuie là où cela accuse. L’indifférence.