Le cinéma prend parfois son temps. Celui de filmer la vie, celui d’observer l’intégration d’une famille déterminée. Un portrait qui fait du bien à la citoyenneté. Le sentiment simple, humain, d’être enfin là où l’on désire vivre, en France, en Europe. La difficulté n’est pas soi mais le regard des autres, de ceux qui pensent que l’espace de vie leur appartient au nom du sol. Une famille Rom, la jeune Salcuta Filan et ses enfants, que nous retrouvons quinze ans après une première rencontre devant la caméra des réalisatrices Anne Pitoun et Valérie Mitteaux, Caravane 55, référence au numéro donné par la police à leur arrivée en France (1). De 2003, date de la régularisation de Salcuta Filan et de sa famille, à 2018, le clap de fin provisoire du second documentaire. Une fin, qui attend peut-être une suite à écrire, à filmer ? Un chapitre à offrir pour compléter cette comédie humaine qui nous concerne tous. Deux cheminements : celui du politique, l’oreille à l’écoute des sondages, et la route très longue de Salcuta Filan. La régularisation ne veut pas dire intégration. Les freins restent nombreux. Obstacles qui ne semblent pas gêner plus que cela certains élus. Les œillères politiques devant la discrimination se conjuguant avec la peur de l’autre. Mais voilà, notre héroïne n’est pas faite de bois tendre. Elle regarde la République dans les yeux et Marianne lui dit « Banco ». Le film montre toute sa force sociale. On sert les poings, les dents et on y arrive. Les épisodes de vie vont ponctuer et construire le documentaire. Mariages des enfants, naissance des petits enfants, relationnel avec les associations, mais également la pugnacité du maire, de l’institutrice pour débloquer certaines situations… La violence institutionnelle avec la garde par la justice des petits enfants. La dramaturgie n’est pas écrite, elle se vit au fil des images. Partage d’émotion avec ce voyage, le retour en Roumanie. Comment vivre ce déracinement dans le regard de ceux qui sont restés au pays ? Sans commentaire pour ne pas parasiter votre cheminement dans le film, ce sont les silences qui nous guident. Il y a dans les non-dits cette force qui nous enseigne à bien regarder. Le film d’Anne Pitoun et Valérie Mitteaux nous invite à tomber la veste. Celle du qu’en dira-t-on ? Le sentiment d’une France nauséabonde, pétrifiée et dont beaucoup de citoyens et politiques ont oublié le premier article de notre constitution. Salcuta Filan est cette héroïne qui traverse le film offrant un souffle de liberté qui balaie.
(1) Ce premier documentaire filme l’expulsion de la famille, la destruction de la caravane stationnée à Achères dans les Yvelines. Une destruction minutieusement planifiée par la préfecture. Nous somme en 2003. La municipalité d’alors (communiste) et un collectif de citoyens soutiennent Salcuta Filan, lui trouvent un logement et permettent à ses enfants, Denisa et Gabi, de rester scolarisés. La famille obtiendra sa régularisation en 2005.