Le 19 mai…

L’ouverture tant attendue aura l’effet d’un appel d’air. Le manque est là, et la logique voudrait que les salles se remplissent à la vitesse d’un cheval au galop. Et après, une fois les yeux rassasiés, combien de temps pour que la marée se retire, et compter les épaves ? Les nouveautés jouant des coudes s’effriteront le temps d’un été dans le combat de la distribution ? Il en restera toujours quelque chose, mais pas forcement ceux que vous désiriez découvrir.  430 films au dernier pointage. Une attente en forme de sprint, tous aux stakning-blocs. Un cent mètres  que les distributeurs essaient de maitriser comme un demi-font, évitant l’asphyxie annoncée. Un été pour réguler avant la rentrée qui verra les mastodontes américains envahir nos écrans. Et là pas ou peut de places au cinéma frenchy. Malgré le particularisme et la diversité cinématographique que le monde entier (enfin presque) nous envie. Notre cinéma national aura du mal à résister aux coup de butoirs du markéting américain. Reconnaissons qu’ils ont des alliés de poids avec nos chaines de télévisions, qui défendent avec un empressement collaborationniste, le pluralisme culturel d’un cinéma anglo-saxon. On pouvait attendre de leurs parts d’avoir autant de fougue à défendre un cinéma français indépendant, sans parler des cinémas oubliés d’Afrique.  Ne soyons pas défaitiste devant l’adversité, et regardons droit dans les yeux l’avenir d’un art qui affronte peut-être, depuis sa création,  le pire des chocs économiques. Une différence tout de même. L’industrie dans son entier ne vacillera pas, peut-être même avec les nouvelles alliances va-t-elle rebondir. Seul les »théâtres » sont en mesure de s’inquiéter.  Le film, lui,  a  déjà trouvé d’autre écrins . Dans le Bizness Plan des  producteurs et autres Majors, la salle est aujourd’hui dans le camp des outsiders. Cela couvait déjà avant le COVID.C’est une certitude aujourd’hui. Les rôles ont été redistribués. Nous sommes dans un processus qui rappelle un peu les degré d’importance que l’on retrouve dans le milieu de la mode. Le défilé de  Haute Couture et prêt à porter. Le « Théâtre » devenant ce moment fort de la représentation sans pour autant  être tout à fait rentable. Netflix, Amazon, Disney et dans une moindre mesure Canal +, OCS se partageant la part du Lion. Un cinéma sans salle est-ce possible ? Non, naturellement, nos mémoires restent ancrer dans le romantisme d’un lieu de partage, chargez d’histoires et d’émotions. Ce cinéma Paradiso. Notre madeleine de Proust. Combien de générations ont gouté aux plaisirs du grand écran comme seul fenêtre sur l’imaginaire ? Un espace qui aux fils des années numériques s’est liquéfié. Ne devenant plus, malgré les 213 millions  entrées en  2019, que le reflet d’un souvenir. On ne va plus au cinéma, on va voir un film. Un consommation immédiate, parfaitement orchestrée à laquelle la pandémie cloua le bec. Ici pas un baiser pour sortir du songe. C’est la gueule de bois. Un an plus tard, le film change de dimension. Si l’écran d’une salle de cinéma reste le mètre étalon du plaisir cinématographique, d’autres variant viennent perturber le regard d’une génération qui n’a pas été biberonnée à la cinéphilie. Le film se déconnecte de la salle et vit sa vie sur un smartphone, une tablette, une galette, projeté par un vidéo projecteur, regardé à la télévision… Mille lieux, sans que personne n’est à redire. Une histoire déconnecté de son support originel. Visionné sans valeur ajoutée autre, que l’instant. Comme-ci cela ne suffisait pas, les producteurs, et pas des moindre ont choisi l’alternative. Le choix entre la salle et les plate-formes ! Deux espaces qui avant le Covid n’avait pas le même espace temps. Que penser de ces films qui ne sortiront plus en salles, que penser de ses réalisateurs qui ont vendu leurs âmes à Netflix, Amazon ? Un redécoupage des valeurs  mit doucement en place. Une redistribution des priorités. La puissances des plates-formes alliés objective des Majors redistribuent les cartes. La pandémie a eu raison de l’équilibre fragile des structures économiques héritées de la seconde partie du XXe siècle. Les salles de cinéma ne sont plus les seules à offrir le spectacle, même si elles restent ces temples irremplaçables. Leurs transformations en « cité du cinéma » ont tué l’âme des lieux, tout comme le goût de la cinéphilie disparait, laissant la place, au nom du marketing, à un environnement clés en main reconnaissable dans toutes les structures. Reconnaissons que les ilots de résistances existent. Salles indépendantes, salles municipales qui œuvrent dans un espace réservé de plus en plus étroit.  Le COVID a déstabilisé l’économie, rendant caduc ce que l’on aurait voulu intemporel. Le film cinématographique survivra avec ce mélange étrange des genres, entre les codes du cinéma et télévisuel offrant un objet hybride, non identifié mais qui plaira au plus grand nombre. Qui dans une décennie se souciera de la différence ? Personne monsieur, personne ! L’image animé se suffira d’un écran de téléphone. Un téléphone qui déjà filme en 4K, avec  les mêmes prouesses qu’une caméra professionnelle. Les prévisions publicitaires sont souvent mensongères. Mais de qualité suffisante pour devenir cette caméra stylo fantasmée par  Alexandre Astruc. Une image qui se suffit à elle même, visionnée dans un garage sur un écran de fortune en réinventant la projection  des origines. Le temps du cinéma n’est plus tout à fait celui de la salle.  Combien de spectateurs feront un pas sur le côté. Nous n’en sommes pas encore là, naturellement. Mais le COVID a sournoisement mit nos repaires en veilleuses pour que nous nous approprions maladroitement d’autres signes  que l’on ne voulait pas admettre. L’abstraction complète du support à quelque chose d’étrange. L’absence de pellicule qui faisait l’essence même du film rend d’autant plus vulnérable la salle. Un DCP (1) est tout juste plus grand qu’un livre de poche. Une boite de conserve sans la magie de la pellicule et de son odeur. Un objet immatériel a la froideur d’une époque qui s’est invité dans la cabine de projection. Nous ne reverrons plus Hellzapoppin. (2)

 

(1) DCP Digital Cinema Package est l’équivalent en cinéma numérique de la copie de projection argentique (qui se présentait sous forme de bobines de film argentique 35 mm)

(2) Hellzapoppin est avant tout une comédie musicale (1938) puis un film (1941) réalisé par H.C. Potter il sera vu en France après la guerre en 1947. Film burlesque dont une partie du film se passe dans une cabine de projection. Le projectionniste interverti les bobines du film le rendant incompréhensibles. Révolte sur l’écran des acteurs pour retrouver le fil de l’histoire alors que le technicien amoureux de l’ouvreuse qui l’a rejoint en oubli la projection.