PRIX : 19€, bonus, un entretien avec Robert Manthoulis et un livre de 16 pages illustrés. Textes de Maria Manthoulis et Erice Le Roy
L’affiche représente bien ce temps suspendu, entre deux mondes. Nous sommes en 1973, et certain on encore du mal à digérer 68 que déjà on cogne à la porte. Qui veut se débarrasser des années saoul ? 1973 est la sortie du documentaire Wattstax réalisé par Mal Stuart pour commémorer le 7e anniversaire des émeutes noires de 1965. Le film est résonance au travail de Robert Manthoulis. A la recherche des racines.
Le temps d'un accord
Il avait la barbe de Victor et la caméra aussi souple qu’un écrit d’André. Citoyen du monde, il aimait la musique qui gratouille et/ ou démange. Son regard malicieux nous titille encore. Sphinx, il questionnait sinon la terre entière, au moins ceux qui acceptaient d’être devant la caméra. C’est-à-dire presque tout le monde. Trop charmeur pour lui refuser quoi que ce soit. Robert Manthoulis (1929-2022), réalisateur d’origine grecque, a filmé entre 1973 et 1975, Le Blues entre les dents et En remontant le Mississippi. Deux films à la température musicale identique, authentique, collant à l’histoire d’une Amérique que l’on voudrait éteinte. Une escale dans le temps. Celui du blues et de ses représentants, tels que Onike Lee, Jimmy Huff, Walter « Furry » Lewis, B.B. King, ou encore les prisonniers du Texas, chanteurs du « work song », la liste est aussi longue que les pistes empruntées. Figures oubliées dont il ne reste que les 33 tours rangés dans un coin, loin de l’actualité musicale aseptisée. La très bonne idée de Doriane Films est d’offrir au public la possibilité de revoir en version restaurée Le Blues entre les dents et de revenir sur les pas d’un cinéaste qui a su avec élégance poser la caméra là où il fallait, sans voyeurisme, dans l’attente d’une note, d’une parole. Allumer une dernière fois les projecteurs avant qu’ils s’éteignent définitivement sur ces pionniers qui ont le blues entre les dents, comme d’autres avaient le couteau. La même peur ? Pour beaucoup certainement. Il ne faut pas perturber un monde qui assoupit. Robert Manthoulis est un poète qui, comme tout poète, a su, à travers les photogrammes de son documentaire, offrir une vision d’un monde existant que plus personne ne perçoit. Un battement de cœur comme aimait le rappeler Baudelaire. Les images sont des mots et le verbe une image. La musique transcende cette volonté d’être un tout. Il est engagé Robert Manthoulis. C’est un mot dans lequel il se reconnaît, communiste au sens littéral, il signera de la caméra un film qui fera date, Face à Face. Devenant avant l’arrivée des colonels, l’un des fer de lance de la nouvelle vague du cinéma grec. Ainsi va le cinéma, il surfe d’un pays d’accueil à un autre. L’important est de tourner. Montrer, démontrer, monter. D’actionner la mémoire. N’est-ce pas à cela que sert le cinéma ? Robert Manthoulis en avait conscience.