Le champ d’Igor

l'apesanteur du temps

Rodolphe Viémont

2007 Un éclat

2011 Rendez-vous aux cieux

2014 Humeur liquide

2018 Pour Ernestine

2021 Le champ d’Igor

Ce n’est pas parce qu’un film n’est pas en salle qu’il n’existe pas.  En fait ce n’est pas tout à fait juste, plusieurs projections ont eu lieu, Au Star à Strasbourg en octobre 2021, au cinéma La Clef à Paris en décembre 2021 et récemment au cinéma les 400 Coups d’Angers le 22 février 2022. Le dernier documentaire de Rodolphe Viémont à qui on doit le très touchant Pour Ernestine nous conte, caméra posée, sa rencontre avec Igor. Un film qui nous scotche, nous faisant brusquement remonter le temps. Celui d’une époque impossible aujourd’hui à reproduire, puisque fictionnelle. L’An 01 du dessinateur Gébé. Un feuilleton hebdomadaire dans Charlie Hebdo devenu film par la volonté des lecteurs et lectrices. « Arrêtons-nous et regardons le monde passer », disait l’un des personnages. Le Champ d’Igor recèle des trésors qui renaissent des temps anciens. Tête dans les étoiles, pieds sur terre. Un bel équilibre pour Igor, 33 ans, anticonsumériste, vivant dans les Vosges et attaché à une liberté qu’il inscrit dans son comportement. L’autosuffisance comme moyen d’existence… La construction d’un nouveau monde à échelle humaine. Il n’est pas le seul, on en croise quelques uns qui ont fait un pas sur le côté. Voilà cinq ans qu’il a en emménagé dans le camion qui lui sert de roulote. Le chalet n’est pas encore terminé. Même s’il connaît les difficultés de ce que veut dire la solitude, Igor dans sa bienveillance sait la maîtriser pour en faire une force intérieure. Il est zen Igor aussi bien dans son potager, face à une poubelle la nuit pour récupérer quelques trésors que dans cette boutique où il est vendeur. Un magasin de bricolage qui lui ressemble. A bien y réfléchir, quoi de plus normal pour un type dont la philosophie de vie se conjugue avec le mot respect. Respect de la nature sans en faire un dogme, respect de l’approche économique de l’acte d’achat – tout ce qui peut être récupéré doit l’être – respect de l’autre. Cela fait beaucoup pour un seul homme ! Une volonté humaine. Un militantisme de la vie. La caméra stylo de Rodolphe Viémont y écrit sinon l’avenir, au moins une aventure citoyenne. La relation se mérite. Il ne se  laisse pas approcher comme cela Igor. Un homme libre n’est pas un citoyen médiatique ! La persévérance de Rodolphe Viémont, l’acceptation de l’autre, le temps accordé (deux étés de tournage) et la construction d’une amitié en font un film à découvrir. Retenons le dernier plan du film qui pourrait être l’ouverture d’un prochain documentaire. Igor en contre-jour téléphone (et oui il a un portable, il n’est pas arriéré non plus). Plan de fiction ? Le réalisateur affirme que non. Igor parle à voix basse dans l’intimité d’une relation qui se construit avec une jeune femme venue un soir avec un ami. Plan sobre en parfaite adéquation. On perçoit autre chose, moins en retenue, plus intime. Le sourire tendre qui se dessine sur les lèvres d’Igor en dit long sur l’aventure à venir. Tout est possible, même l’espoir.