Le regard ne nous quitte pas. Intense, questionnant notre interrogation. « Suis-je, si différent de vous ? » Gérard Philipe a la beauté du diable et il le sait. Cela l’inquiète. Ce n’est pas humain cette beauté, ce talent, ce besoin de vivre. Homme de théâtre aux 43 films. Il quittera la scène à 36 ans laissant orphelin le Théâtre national populaire (TNP) de Jean Vilar. Pourtant à bien écouter sa voix, pour ceux qui savent entendre, elle résonne encore dans l’enceinte du Palais des Papes. Celle d’une représentation exceptionnelle du Cid en 1951. Cela fait quatre ans que le Festival d’Avignon est installé et que l’écho de sa voix n’en finit pas de résonner dans les pages de l’ouvrage de Jérôme Garcin. Le Dernier hiver du Cid. Un titre qui sonne comme un rappel. Une réédition chez Folio. L’ouvrage a reçu, en 2020, le Prix des Deux Magots. Nous sommes en 1959. Est-ce la fin d’une époque ? Déjà pourrait-on écrire ? Celle d’un regard espiègle. Entre un été qui s’annonce chaud et un hiver des plus glacials. C’est dans cet espace-temps que se loge l’écriture de Jérôme Garcin (Le masque et la plume sur France Inter). Il effleure le texte avec précaution. Il ne faut pas réveiller la nostalgie. La réalité est là. Entre la scène et la mort. Six mois pour l’éternité. Le roman de Jérôme Garcin prolonge le témoignage du Temps d’un Soupir (1963) d’Anne Philipe (femme de Gérard Philipe). Un passage tout en douceur. La délicatesse des mots parsème tout au long de l’ouvrage ces petits cailloux blancs de la mémoire. Des traces qui se fondent dans l’imaginaire collectif. Gérard Philipe reste ce Modigliani tourmenté de Montparnasse 19 de Jacques Becker (1958). Ce comédien à fleur de peau que l’on retrouve sous la plume de Jérôme Garcin. L’homme foudroyé qui sait sa fin proche. La puissance narrative s’esquisse avec autant de virtuosité qu’un Fanfan espiègle. Cette lecture interpelle. Puisqu’au fond elle nous concerne tous. L’aventure de tout comédien n’est-elle pas de rester en représentation ? N’est-ce pas le cas de l’ouvrage de percevoir encore et toujours la présence de l’acteur ? Naturellement. En refermant le livre, ce n’est pas le froid de l’absence que l’on ressent mais la chaleur éternelle d’un acteur qui a su offrir son talent avec générosité. Un partage social de l’homme de théâtre avec le cinéma. Entier ! Quelle aurait-été son interprétation d’Edmond Dantès, le Comte de Monte-Cristo ? Imaginez alors la puissance du personnage ! Un autre l’endossera. A vous lecteur de découvrir à travers le cinéma les œuvres qui ont ciselé la légende.
Filmographie sélective
1944 : Les Petites du quai aux fleurs de Marc Allégret : Jérôme Hardy
1946 : Le Pays sans étoiles de Georges Lacombe : Simon Le Gouge et Frédéric Talacayud, clerc de notaire
1946 : L’Idiot de Georges Lampin : Le prince Muychkine, naïf d’esprit
1947 : Le Diable au corps de Claude Autant-Lara
1948 : La Chartreuse de Parme de Christian-Jaque
1949 : Une si jolie petite plage d’Yves Allégret
1948 : Tous les chemins mènent à Rome de Jean Boyer
1949 : Visite à Picasso, court métrage documentaire de Paul Haesaerts : récitant du film
1950 : La Ronde de Max Ophüls
1950 : La Beauté du diable de René Clair
1950 : Avec André Gide, documentaire de Marc Allégret : commentaire
1951 : Avignon, bastion de la Provence, court métrage de James Guenet : lui-même
1951 : Juliette ou la Clé des songes de Marcel Carné.
1951 : Fêtes galantes : Le peintre Watteau, court métrage documentaire de Jean Aurel
1952 : Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque
1952 : Les Sept Péchés capitaux, sketch Le Huitième péché de Georges Lacombe : Le bonimenteur et le peintre
1952 : Les Belles de nuit de René Clair
1953 : Les Orgueilleux d’Yves Allégret
1954 : Monsieur Ripois de René Clément
1954 : Le Rouge et le Noir de Claude Autant-Lara
1955 : Les Grandes Manœuvres de René Clair : Armand de La Verne, lieutenant des dragons
1955 : La Meilleure Part d’Yves Allégret
1955 : Les Aventures de Till l’Espiègle de Gérard Philipe et Joris Ivens
1956 : Le Théâtre national populaire, court métrage de Georges Franju
1957 : Pot-Bouille de Julien Duvivier
1958 : Montparnasse 19 de Jacques Becker
1958 : Le Joueur de Claude Autant-Lara
1959 : Les Liaisons dangereuses 1960 de Roger Vadim
1960 : La fièvre monte à El Pao de Luis Buñuel