Le cinéma d’Hergé

Il est bon de garder encore dans sa bibliothèque quelques livres que l’on s’était promis de lire. Et l’oubli est là, dans l’entassement. Le destin est ainsiqu’il guide le rangement. La découverte est en attente. On s’en amuse d’abord, on s’assoit ensuite et on commence à lire. L’univers de Tintin ne laisse pas indifférent. Ni le temps qui colle au propos. Tintin, Hergé et le cinéma de Philippe Lombard date de 2011. Homme de plume à la cinématographie aiguisée, on lui doit quelques perles à posséder chez soi, Amicalement Vôtre, Pleins feux sur Starsky & Hutch, Les Nombreuses vies de James Bond. Philippe Lombard a également participé à des ouvrages collectifs comme Les 1001 films, Le Dico des Héros. Et un petit dernier, avec Les 101 voitures mythiques du cinéma. Tout un programme. Cela étant écrit revenons au sommaire et voyons la problématique qui intéresse les tintinophiles. Le rapport du patron de la ligne claire avec le 7e Art. Il est complexe, jamais satisfait. Hergé ne trouvera que rarement cette reconnaissance que lui apportait la table à dessin, même si, nous le savons, rien n’était simple dans l’accouchement d’un nouvel album. Les héritiers de l’empire Hergé se croyant plus malins s’y casseront également les dents. Est-ce si complexe de combler le vide entre deux cases ? Eh bien oui ! La ligne claire par sa perfection impose un autre regard. Unitaire. chaque case devient une histoire composée. Une œuvre que l’on peut extraire comme se suffisant à elle-même. Faites-en l’expérience ! Le cinéma, Hergé y a pensé rapidement, sans pour autant savoir par quel bout prendre la caméra. La fascination suffit-elle ? Hergé pense à Disney mais la firme aux grandes oreilles inflige un camouflet en revoyant dans ses buts ce dessinateur belge qui désirait faire du cinéma. Quelques années plus tard la NASA reviendra vers Hergé en le félicitant pour son double album Objectif Lune, On a marché sur la Lune. Rien n’est jamais perdu. Si l’aventure de Tintin commence par des vues fixes dans les patronages catholiques, combien d’enfants ont-ils été influencés par le Pays des Soviets, Tintin au Congo, Tintin en Amérique... ? Le héros d’une jeunesse qui ne demande qu’à vivre à 24 images/seconde. L’animation pour se libérer de la case, comme Pinocchio voulant sortir de son corps de marionnette. Il faudra attendre 1946 pour découvrir le héros sur grand écran en poupées animées : Le Temple du Soleil réalisé par Raymond Leblanc. De cette expérience, il ne reste rien. Dix ans plus tard, le réalisateur remet le couvert. Fini les poupées animées. Il travaille avec Bob de Moor, le plus proche collaborateur d’Hergé et créateur de Cori le Moussaillon, pour la société d’animation belge Belvision. Plusieurs adaptations verront le jour, Le Sceptre d’Ottokar, l’Oreille Cassée, Objectif lune… Mais Hergé n’est, encore une fois, pas satisfait du résultat. Malgré l’accueil positif, la production s’arrête. Le cinéma ne fait que très rarement bon ménage avec le 9e Art. Rares sont les adaptations réussies. Astérix, mission Cléopatre reste une exception. Nous ne parlons pas ici de Marvel dont l’imagerie et la structure narrative correspondent à un cinéma de fond vert. Hergé est loin de cela, il pense à des acteurs. Deux films avec comédiens en tout et pour tout, Tintin et le mystère de la Toison d’Or (1961) et Tintin et les oranges bleus (1964). Si le premier crée un bel effet de surprise, le second volet, malgré le succès, ne convaincra pas. Alain Resnais, passionné d’Hergé, se sentait prêt lui aussi. A la hauteur d’une adaptation. L’idée : L’Ile Noire. Là encore la belle idée s’évaporera avec le temps. 1969 verra une nouvelle production de Belvision, Le Temple du soleil, regroupant les deux albums Les Sept boules de cristal et Tintin et le temple du soleil. Un film d’animation réalisé à nouveau par Raymond Leblanc. Un long métrage dont les deux chansons ont été écrites par un grand admirateur d’Hergé, Jacques Brel. Suivra en 1972 un nouveau long métrage d’animation, Tintin et le lac aux requins. Un scénario original de Greg, le père d’Achile Talon. Le film n’aura pas le succès escompté malgré l’enthousiasme de Raymond Leblanc qui dira haut et fort : « …Avant il n’y avait que Disney, maintenant avec Belvision, un studio européen peut rivaliser avec le plus grand ». D’autres projets seront mis en orbite, aucun n’aura la puissance de frappe de la major américaine. Comme souvent il y a des chemins qui se croisent et qui auraient pu rendre les rêves réalisables. Un coup de fil de Spielberg par exemple. Nous sommes en 1982, un an avant le décès d’Hergé. Et un an après la sortie des Aventuriers de l’arche perdue que beaucoup considèrent comme une version moderne des aventures de Tintin. En son temps, on avait déjà écrit quelque chose de semblable avec le film de Philippe de Broca L’homme de Rio avec Jean-Paul Belmondo sorti en 1964. Mais avec Spielberg, c’est autre chose. L’ambition avouée du réalisateur de E.T. c’est l’adaptation de trois albums. Le décès d’Hergé repoussera le projet de trois décennies. La réussite viendra d’Elipse (filiale de Canal +) avec l’adaptation de tous les albums, respect du graphisme, des couleurs, du cadre, des planches. Tout y est. Nous sommes en 1991. L’animation est à la hauteur du plaisir de retrouver les albums. Pas d’envolées scénaristiques dans les adaptations. La fidélité est au rendez-vous. Et cela fait du bien.  L’ouvrage de Philippe Lombard est le roman d’une aventure. Celui d’un trait de génie qui a éclairci la bande dessinée. Hervé a essayé, il ne sera pas le dernier, de conjuguer son art au même temps que le 7e. De penser à juste titre que les cases de ses albums étaient de parfaits éléments d’un story-board en devenir. Il y a comme cela des rendez-vous manqués que Philippe Lombard souligne avec discrétion. Malgré tout, les empreintes sont visibles à travers une cinématographie à redécouvrir.