L’artiste sonore Cassandra Felgueiras a inventé La Body Bass. Un instrument de musique pensé pour enrichir la pratique musicale, l’appréciation tactile du son
et ouvrir son usage, notamment celui des sourds et malentendants.
La Musique au ventre
Le dernier film de Frank Cassenti vibre. Quoi de plus normal pour un auteur jazzy. Le vibrato est ressenti jusque dans les tripes. Peut-être même qu’elles imposent le tempo d’une renaissance. Le documentaire de Frank Cassenti monté par Olivia Rivet est un hymne à la musique des signes et des sens. Une rencontre réjouissante sous la caméra stylo du réalisateur de L’Affiche Rouge. Frank Cassenti filme comme un écrivain. Entre pleins et déliés, il brosse le portrait de deux femmes. Cassandra Felgueiras, jeune plasticienne qui a inventé, sur un concept de musique tactile, une guitare basse à destination des personnes sourdes et malentendantes. La musicienne Lily Regnault qu’une maladie neurologique a rendu sourde au fil des années. Un lieu de répétitions, de rencontres. Des rencontres : Olivia Rivet, David Benzanon, Eddie Dumoulin. Un groupe. L’apprentissage de l’autre, cette inconnue accueillit à bras ouverts dont la perception musicale n’est pas le son. Un atelier qui, au gré des répétitions, va s’inviter sur scène au mythique cinéma de La Ciotat, l’Eden. Une cohésion sans handicap devant une salle pleine. L’apprentissage est là. Dans l’envie. Lily Regnault ajuste la guitare, bloquée sur le ventre, les doigts courent sur les cordes, les pinces, et voilà Lily transformée. La vibration emplit son corps comme autant de sons à entendre. Les larmes sont discrètes mais là, retranchées derrière ses lunettes. Le frémissement gagne les musiciens présents, le silence est suspendu à l’émotion provoquée. Le travail de recherche de Cassandra Felgueiras débouche sur la réalité d’un groupe musical. La caméra de Frank Cassenti gomme au fur et à mesure des séances, le handicap souligné par les premiers plans du film sur le port de La Ciotat, silencieux et prenant. Être à la place de l’autre dans l’infirmité. Le documentaire ne joue pas sur la corde sensible comme certains seraient tenter de faire… Il n’y a pas de faux accords, ici Lily est entière et capte la caméra en nous regardant droit dans les yeux, guitare en mains. Un bonheur partagé dans l’égalité des ressentis. Elle est heureuse Lily de se sentir musicienne. Totalement musicienne. L’autre force du cinéma de Frank Cassenti est celui du temps. Ici, on imagine mal que la renaissance musicale de La jeune femme se termine avec le générique de fin. Comme il est difficilement concevable que la vie de la musicienne commence au premier plan du film. Le documentaire s’inscrit dans un battement de cœur. Un entre deux. Un chapitre. Le journal de Lily en témoigne, tout comme l’écrit de ses poèmes. Les mots, les images, la musique. Le cinéma, quoi de plus normal que la vie.