Le monde selon Terry

Penser l’absurde pour devenir raisonnable. Oser défier le monde pour asseoir la dérision. L’aventure du burlesque ne s’arrête pas au cinéma muet de la grande époque. Les farfadets issus de la BBC démontent l’humour avec empressement. Pour mieux s’approprier la dérision comme essence dramaturgique. Encore faut-il s’entendre sur le terme. A les questionner, ils bottent en touche. Les Monty Phyton sont nés en 1969. Leurs folies pourraient rappeler celles des Beatles qui venaient de mettre la clé sous la porte. La dérision comme sagesse. Il n’y a pas mieux. Les Monty Python Flying Circus vont appliquer cette philosophie à la lettre. Un barnum qui résonne comme un groupe de rock. Il y a de la vibration dans cet humour-là ! Une aventure qui se terminera 45 épisodes plus tard en décembre 1974. L’année même de la mise en chantier du Monty Python Sacré Graal, leur second film (1). Ainsi l’aventure continuait sur grand écran. Combien de gags que l’on doit au célèbre show ont-ils nourri le scénario ? Ne comptez pas, il y en a trop. Terry Gilliam et Terry Jones, les réalisateurs, ne dévoileront pas le décompte. Est-il nécessaire d’avoir l’esprit comptable face à l’avalanche de gags à la minute ? Non ! Ce qui importe en revanche, c’est l’aventure du film. Aussi gaguesque que sa réalisation. Monty Python Sacré Graal ! de Justine Breton est un livre plein d’aventures et d’enseignements que vient d’éditer   Vendémiaire. L’auteure, Justine Breton, nous plonge dans l’aventure que fut Sacré Graal. Avec cette interrogation devant les ennuis accumulés pour arriver à décrocher le Graal ? Et si derrière Merlin n’y avait pas mis son grain de sel pour pourrir le film. Car il y a malédiction entre le rejet du projet par plusieurs grandes maisons de production, un tournage proche de l’asphyxie et des projections annonçant une catastrophe imminente, rien moins qu’un tremblement de terre. Et pourtant le séisme annoncé et raconté dans le menu détail par Justine Breton n’aura pas lieu. Le film débarassé de son envoûtement sera un grand succès. L’aventure gaguesque est à la hauteur des attentes du film. Croire que l’on puisse produire un film des Monty Python dans la sérénité c’est penser que Waterloo n’a jamais été une défaite. Les moultes précisions, anecdotes, réflexions mais aussi le soin à dénicher le détail font de l’ouvrage un petit monument. Un documentaire écrit. Nous voilà embarqués à des décennies d’une réalité économique à laquelle toute production doit s’attendre. La sérénité n’est pas de mise. Le gouffre jamais loin. Une aventure qui se lit comme on voit un film, bien installé dans son fauteuil. Le plaisir est là, entier, dans le décryptage que nous proposes Justine Breton. Tout comme le mythe des chevaliers de la Table ronde, le film se veut chevaleresque dans son traitement. L’aventure est au bout du tournage. Et l’on ressent en feuilletant les pages, la perplexité de cette mise en magie du film, sans pour autant trahir l’univers burlesque des Monty Python. Un équilibre savant parfois mit en défaut sans pour autant trahir le projet final. Un tournage qui joue de toutes les possibilités offertes par l’outil du 7e Art. Une redécouverte des astuces du cinéma primitif. Le livre nous fait voguer dans une cinématographie difficilement reconnaissable. Un mirage. Nous découvrons bientôt que nous sommes face à un ouvrage de recherche. L’auteure manie le verbe comme un archéologue manie son pinceau. Tout en douceur face à un objet précieux que l’on sort du sable. Au fil des chapitres, Justine Breton déterre la mémoire d’un film toujours à l’affiche. Une production aujourd’hui impossible à réaliser. Le magicien a fait place au comptable. Il y a quelque chose de cassé dans ce monde de magie. Il reste le livre qu’il faut lire et offrir pour faire aimer le cinéma.
 
(1) Un premier film à sketches a été réalisé en 1971 regroupant une sélection de leurs shows. La Première folie des Monty Python. Film sorti confidentiellement en France sous le titre de Pataquesse avec une affiche signée Gotlib !