Rendez-vous pris à la Librairie du Cinéma du Panthéon avec Yves Belaubre… Il y a quelques temps, avant, avant…
Il fallait, semble-t-il, trouver un titre. Alors pourquoi pas celui-là ? Critique du scénario américain. Une mise au point ciselée sous la plume professorale d’Yves Belaubre, journaliste, écrivain et scénariste. A moins que le terme « critique » désigne une analyse du contenu ? Quoi de mieux que d’être maître des mots pour nous entretenir de ce qui fait le cinéma et les séries : le scénario. Car aussi étrange que cela puisse paraitre, les films, les séries, les feuilletons n’existeraient pas sans une plume experte. Avouez que le paradoxe est assez drôle : pas d’images sans les mots. Dans son ouvrage, Yves Belaubre décortique les rouages (parfois complexes) et l’évolution de l’écriture scénaristique. En résumé le film traduirait une écriture de scénario en images et en sons. En quelque sorte, le cinéma se met au service de l’histoire. Est-ce si simple ? Non. Surtout qu’en France, pays de Beaumarchais, la politique des auteurs ( Les Cahiers du Cinéma n°21 – l’un des tout premiers articles de François Truffaut – suivi d’un autre article intitulé Une certaine tendance du cinéma français) met l’histoire au service du film. Le scénario n’est qu’un des outils à la construction de l’œuvre finale. Jean-Luc Godard, ne disait rien d’autre, « il existe plusieurs films à l’intérieur d’un film… Le scénario, le tournage, la mise en scène, le montage... » Une notion d’auteur qui n’existe pas aux Etats-Unis ou si peu. En tout cas, il est absent de la politique des majors et des networks qui garderont, jusqu’à aujourd’hui, le fameux final cut. C’est justement là que puise la réflexion d’Yves Belaudre. Dans cette contrainte intellectuelle et économique. Comment faire évoluer le travail scénaristique. L’auteur nous fait découvrir pas à pas ce mécanisme industriel qui rend si efficace beaucoup de séries. La façon de détourner les codes et d’imposer le taylorisme culturel comme objectif : plaire au plus grand nombre. Hollywood dans sa grande époque appliquait déjà les mêmes recettes. Les impératifs narratifs, le tempo des obstacles imposés au héros, l’objectif à atteindre, les espaces de respiration ou encore le ciselage des personnages en trois phrases et deux gestes comme repères visuels. Comprendre à qui on a affaire, se familiariser avec le cheminement (immuable) pour arriver à la solution. Une construction qui ne doit pas dérouter. L’écriture d’un scénario doit s’apparenter au cocooning où il est bon de se lover. Même si aujourd’hui l’écriture évolue, par exemple avec des structures à tiroirs. Chaque épisode reste autonome tout en ayant un rebondissement au long cour qui affectera un ou plusieurs personnages de façon plus ou moins importante selon la saison – l’annonce possible de la disparition d’un des personnages récurrents de la série en est un parfait exemple en faisant monter la tension au fil des épisodes (souvent un problème personnel, une addiction à la drogue par exemple, un secret de famille). Une complexité qui apparaît dés le second épisode offrant une épaisseur psychologique et sociale à la série. Il est à noter que cette approche « technique » peut-être poussée à son paroxysme. Auréolant la série d’un charisme que beaucoup de films de cinéma pourrait lui envier. C’est la différence, et elle est de taille, avec un film cinématographique : le travail sur le temps est du côté de la série. L’ouvrage d’Yves Belaubre est un ouvrage précieux. D’abord pour la façon dont il détricote l’écriture scénaristique mais aussi comment et pourquoi les Européens se sont emparés de ces outils ? On aurait pu s’attendre à ce qu’ils fassent un pas de côté ! Mais non. Ils reproduisent une narration normative. Sans réelle valeur ajoutée. Un modèle parfaitement au point. Une façon soft et indolore d’imposer une narration formatée dans laquelle le plus petit dénominateur commun est accepté par tous. Cela ne fait-il pas partie d’une forme d’impérialisme intellectuel ?