Avec sa gueule d’acteur sorti tout droit de Scarface, à moins qu’il ne s’agisse de Dick Tracy, ce héros créé par Chester Gould en 1931,
Fernand Léger (1881-1955) rappelle à notre bon souvenir, les ambiguïtés relationnelles qu’ont toujours entretenues le cinéma et l’art pictural. Reconnaissons qu’elles n’ont pas toujours fait bon ménage, parfois même le couple se déchirait, proche d’un divorce sans concession. Heureusement, il y a aussi des réussites qui tutoient l’osmose. Comment oublier Le Mystère Picasso de Clouzot (1955) ? Le dernier livre de François Albera (rédacteur en chef de 1895, revue d’histoire du cinéma) consacré à Fernand Léger et le cinéma, fait écho à l’exposition que l’on pourra découvrir du 11 juin au 19 septembre 2022 au musée Fernand Léger à Biot. Un bel été en perspective. Avouons-le, prendre de l’avance pour annoncer ce bijou, c’est déjà entrouvrir les portes de l’exposition.
Si l’ouvrage de François Albera doit être en main de tout cinéphile qui arpente l’exposition Fernand Léger et le Cinéma, un second livre, aussi indispensable, vous accompagnera, le catalogue de l’exposition LÉGER-CINEMA dirigé par les commissaires de l’exposition Anne Dopffer, conservatrice générale du Patrimoine, directrice des Musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes et Julie Guttierez, conservatrice au musée national Fernand Léger.
Qu’est-ce que le cinéma pour Fernand Léger qu’il découvrit en 1916, alors en permission en compagnie de Guillaume Apollinaire ? Les premiers films de Chaplin comme révélateur. Il suffit de quelques images sautillantes pour se laisser apprivoiser. Fantasmant sur l’outil et ses opportunités. Écrire avec l’image !
Une époque où les possibles sont encore envisagés avant que le 7e Art ne se fige dans l’industrialisation. La peinture donc. L’illustration également.
Léger ne se désolidarisera jamais de l’image argentique. Un tout que l’on retrouve dans Le Ballet mécanique (1924), le seul film entièrement réalisé par le peintre. Les critiques de l’époque trouveront un qualificatif : « Films d’Art », à faire fuir le cinéma du samedi soir ! Qu’importe la mouvance, l’important est l’émotion de cet artifice qu’offre le cinéma. Les arts dans leurs ensembles conjugués en un seul que le critique italien Ricciotto , en 1923, nommera le 7e art. Le Ballet mécanique rejoint, par son esthétisme, La Roue (1922) d’Abel Gance dans lequel Fernand Léger a glissé sa patte de coloriste. Les panneaux ferroviaires, c’est lui. Ainsi que l’élaboration des maquettes de l’affiche. L’adaptation est le maître-mot de l’artiste. Pourquoi Fernand Léger ne pourrait-il pas aborder avec la même aisance artistique le décor, les costumes, les affiches ? Il peindra le social et se laissera filmer, lui qui pourtant aimait tant cette place de « metteur en images » derrière la caméra, de monteur dont il rejoindra l’esprit « scalpel » de Dzida Vertov. Il mettra en scène ses tableaux monumentaux comme autant de photogrammes, certains aussi grands qu’un écran de cinéma. Avoir le recul pour voir. Un gigantisme que l’on retrouvera dans les décors de nos L’Inhumaine de Marcel l’Herbier offrant la démesure que peut apporter le cinéma. Grandiose : personnages dévorés par les décors monumentaux. L’aboutissement d’un relationnel artistique qui ne se reproduira plus. Combien de scénarios écrits resteront lettres mortes ? A noter les films de papiers, cette volonté de l’animation comme outil cubiste. Un « Charlot » fragmenté. La signature politique de Fernand Léger n’est jamais loin, voir sa correspondance avec le cinéaste soviétique Eisenstein pour un projet concernant Louise Michel (La Vierge Rouge). Le cinéma effleura la vie du peintre, nourrissant des espoirs sans lendemain. Il n’y renoncera jamais. Ne s’est-il pas entretenu avec Epstein, Man Ray, Max Ernst et Alexandre Calder, auxquels il se joindra en 1947 pour un sketch dans le film collectif dirigé par Hans Richter, Dreams that Money Can Buy ? Un aboutissement du cinéma surréaliste qu’il définira par le terme Cinématique. Toute une aventure artistique en un mot. Il suffit à résumer les innombrables projets inaboutis. L’absence n’empêche pas l’empreinte de Fernand Léger de perdurer.