L’Équipier

L'honneur d'un porteur de bidon

La ligne d’arrivée semble infranchissable. La preuve par l’image : notre cycliste, Dom Chabol, échappé du peloton semble faire du surplace alors qu’un grand-père, alerte sur sa bécane d’un autre âge, sans fatigue, le dépasse et s’envole vers la victoire. Un rêve ! Combien de cyclistes professionnels ont-il fait ce cauchemar de fin de carrière ? 1998. Nous sommes en Irlande, départ du Tour de France. Une première hors des frontières terrestres. Le réalisateur irlandais Kieron J. Walsh signe dans ce film quasi documentaire, une aventure intérieure. Celle d’un retour, Dom Chabol, coureur professionnel qui sans avoir gagné une étape a du répondant, c’est un équipier. Mais l’âge est un handicap. Les jeunes loups sont assoiffés de victoire : voilà donc une occasion pour donner à Dom Chabol le job qu’il faut, « porteur de bidon », on appelle cela aussi « Domestique ». Le prolétariat du peloton au service de quelques-uns. Même là, la concurrence est rude et lorsque le manager préfère un jeunot à Dom, celui est remercié avec autant de délicatesse qu’un DHR virant les ouvriers d’une usine sidérurgique en faillite. On verse une larme et d’un coup de pédale, on repart. Oublié Don Chabol que l’on a pressuré comme un citron. Kieron J. Walsh à qui l’on doit Vita et Virginia nous plonge sans phare dans la tambouille d’une équipe qui vise le podium à Paris. Le Tour de France n’est pas une épreuve comme les autres : elle est mythique. En 1998, tous les moyens sont bons pour décrocher la victoire ultime sur les Champs-Élysées. Le film s’arrêtera à la quatrième étape. A quoi bon traverser le Channel pour rejoindre la France ! Quatre étapes suffisent au réalisateur pour dépiauter avec minutie le relationnel d’une équipe et de ses managers. La caméra indiscrète nous dévoile les petites manies, les petits secrets et les grosses faiblesses. Le bizutage pour le nouveau de l’équipe. Il faut bien qu’il s’intègre au groupe, alors quoi de mieux que les vexations qui se veulent sans conséquence. Une fois en selle, on est cycliste à vie avec les humiliations qui collent au dossard, les silences pour récompenses. La porte du toubib que l’on ouvre discrètement pour recevoir une potion que l’on voudrait magique. Dom Chabol tombera dans l’ornière. L’âge certainement. Le cœur prêt à lâcher. Le médecin du sport est là pour le sauver. Apprendre la frontière qu’il ne faut pas dépasser. Il y a des cols infranchissables qui rendent tout cycliste raisonnable, au moins pour un temps. Sans le dévoiler totalement, la conjoncture rappelle le scandale Festina, affaire qui secoua le peloton. Parce que l’effectif est incomplet, Dom Chabol retrouve son vélo. Le petit jeune étant défaillant, ce passage à vide remet le vétéran dans la course. Interchangeable, jusqu’où ? La suite est là dans la dernière ligne droite. Jouer collectif ou individuel ? Comment sauver sa peau au sein de l’équipe ? Ce film permettra de voir le Tour de France autrement. Avec un regard critique. C’est aussi cela le cinéma : gommer les images télévisuelles trop consensuelles pour être foncièrement honnêtes.