Il suffit d’un souvenir. D’une calligraphie. La juxtaposition approximative de couleurs sur une affiche pour comprendre l’héritage du film. Il y a ici, l’agit-prop d’une époque révolue. L’outil caméra comme moyen de défense et de représentation. Nous ne sommes pas aux frontières des années sixties. Non, nous sommes en 2020, et le film de Nathan Nicholovitch est là pour nous rappeler le combat d’une génération qui a fait table rase du passé.
PROVOS
Long zoom d’ouverture sur le deuil. Une pièce immense. Contre-jour lumineux. La lenteur nous aspire. Tout comme l’écoute de la psychologue de l’école qui pose les mots qu’il faut pour ne pas déstabiliser l’élève. Ainsi commence Les Graines que l’on sème du réalisateur Nathan Nicholovitch. Nous sommes face à un drame. Chiara accusée d’avoir tagué « Macron démission » sur le mur de son lycée ne ressortira pas vivante de sa garde à vue. Le prétexte d’une fiction pour aborder un fait réel qui endosse nombre de victimes de policiers. On pourrait s’exclamer, « Encore une adaptation de plus d’un fait tragique« . Non ! Ici le ressenti est générationnel, il prend la problématique à bras le corps, comme un cour d’histoire sociale que l’on ne voudrait pas surtout pas rater.
Action !
Les Graines que l’on sème de Nathan Nicholovitch à qui l’on doit aussi Avant l’aurore (2018) et La Casa Nostra (2012), tous deux remarqués par l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID). Les Graines que l’on sème est un film qui a germé dans des circonstances particulières. L’arrivée du réalisateur pour son atelier de sensibilisation coïncidant avec un lycée bloqué depuis que 6 lycéens ont été mis en garde à vue pour accusation grave. Un tag « MACRON DÉMISSION ». Le film n’est pas encore enraciné que les lycéens savaient déjà où les mènerait cette rencontre cinématographique. Les bases du scénario sont jetées. Le film oscillera de coup de cœurs en larmes, de larmes retenues en révolte. On n’écrit pas sur la mort sereinement. Le réalisateur canalisera les envies, proposera un personnage. Appelons-la, Chiara. Le tague sera tracé de sa main. Son absence endossera les mots de ses camarades. La thérapie par l’image commence. On connait la suite. Celle d’un film qui rend hommage dans une confrontation esthétique. Il en dit long sur le besoin que l’image a à raconter. Un cheminement de l’écriture que Marie Clément, la professeure à l’origine de l’atelier a développé avec le réalisateur et les élèves. Une mise en lumière des sentiments et des non-dits. De ce que l’on ne peut ou veut pas dire. Le silence comme arme non létale. Pourtant la mort est là, insupportable. Le révélateur de l’absence mettra en lumière le personnage de chaque lycéen, sa vision, son rapport avec l’autre. A Chiara naturellement. Offrant une épaisseur sociale et humaine au film. Un pointillisme humaniste à la manière d’un Georges Seurat. La vision se fait par le détail qui devient un ensemble parfaitement traité dans les deux scènes : l’église et le cimetière. Ajoutons-y celle de la chanson et du cercle silencieux. Encore et toujours les regards et l’absence de parole. La violence subit est ici dans la maîtrise du non-dit et la chorégraphie comme support final. La danse devient la révolte des corps et signe dans les derniers plans du film un autre pas de deux, celui de la manifestation comme seule revendication pour se faire entendre, comprendre. Cette fiction coule dans les veines d’une génération qui est fatiguée de croire à des promesses teintées d’injustice. Le film Essai de Nathan Nicholovitch, en partenariat avec le lycée Romain Rolland et le cinéma le Luxy à Ivry-sur-Seine, démontre s’il en ait, que le cinéma peut exister en dehors des produits stéréotypés que l’on impose sur grand écran. Ce film est à voir parce que c’est un film bien sous tout rapport. Une jeunesse qui y respire. La vie. Et oui !