Un patrimoine enfoui
Josef Karl Räsler (1844-1917) produisit une œuvre considérable dans un asile psychiatrique autrichien, ou il finira ses jours. Certaines de ces œuvres sont à découvrir au centre Pompidou. Et rappelons nous Montaigne qui écrivait » On enferme quelques hommes comme fous pour faire croire aux autres qu’ils ont leurs bon sens«
Le secret était bien gardé. Enfoui depuis des lustres. Comme tout trésor, il se mérite. Et le hasard fait souvent office de partenaire complice. Un butin cinématographique enseveli et retrouvé lors de la réfection de l’hôpital de psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère). Le cinéma aime les secrets et ne vit que pour cela. Rappelant Dawson City, le film de Bill Morrison, distribué et produit par Serge Bromberg. Retrouver des bobines oubliées, là s’arrête la comparaison. Le butin n’est pas le même. Ici, nous sommes dans un hôpital psychiatrique qui a échappé pendant la Seconde Guerre mondiale à la folie de la normalité. Sous Vichy, 45 000 malades et internés mourront dans les hôpitaux psychiatriques. Une hécatombe à laquelle échappe l’asile de Saint-Alban. Est-ce dû à sa caractéristique géographique ? À son isolement au centre de la France ? Qu’importe ! Les soignants, religieuses et malades ont relevé le défi de la fraternité. Ils ont retroussé leurs manches et accueilli réfugiés, résistants et familles juives fuyant la milice. Saint-Alban est hors-champ, en dehors des coups, mais dans la vie. C’est là dans le feu de la résistance que Francesc Tosquelles et Lucien Bonnafé, à contre-courant de l’idéologie nauséabonde qui gangrène le territoire, explorent une nouvelle approche de l’accueil de la folie. Ouvrir les fenêtres, laisser entrer le soleil. Bien plus qu’une analyse, c’est un acte de résistance qu’ils signent. La mise en place d’une lutte contre toute forme d’oppression de la folie. Les dés sont jetés, révolutionnant la psychiatrie de l’après-guerre. C’est ce trésor de pellicules que l’on peut découvrir. Mémoire animée, retrouvée, restaurée. Montrée. Une plongée dans le temps de plusieurs décennies. Images amateurs. Est-ce signifiant ? Non naturellement, elles s’inscrivent dans l’histoire comme les archives du journal de l’hôpital Trait-d’union, le titre en dit long sur la volonté d’abolir les frontières. Les traces sur les murs, dessins et sculptures laissent un témoignage au-delà des passages. Enfin la créativité, cet Art brut ainsi nommé par Jean Dubuffet lorsqu’il se rend sur les conseils de Raymond Queneau à Saint-Alban. Là, il découvre les œuvres de patients et particulièrement celles de Benjamin Arneval et d’Auguste Forestier. Un coup dans l’estomac. Et si on faisait fausse route ? Et si c’était l’hôpital qu’il fallait soigner ? Surréaliste ? Lucien Bonnafé en fera son cheval de bataille. Il ne sera pas le seul, n’accueillera-t-il pas, à l’hiver 1943, Paul Eluard et sa femme… La reconstruction se fait en noir et blanc et en couleurs, images laiteuses, d’autant plus précieuses qu’elles viennent de l’au-delà. C’est avec une infinie précaution que la réalisatrice Martine Deyres manipule les bribes de cette mémoire. C’est avec un profond respect que le film est monté, honorant les ombres projetées. Que reste-t-il de ces Heures Heureuses ? Alors que la psychiatrie avait trouvé en ce début des années 1990 un équilibre précaire, il suffira de la phrase d’un président de la République en 2008 pour mettre à mal l’édifice » ... Que les fous sont dangereux et qu’il y a lieu de les enfermer« . Mais croire cela c’est comme nettoyer les banlieues au karcher. Un effet de manche humiliant. Le film de Martine Deyres est à voir comme un documentaire de résistance. Il est bon par les temps qui courent d’humer ce courant d’air frais !