DVD disponible à partir du 19 octobre. Prix moyen 20 €
Prendre la Bastille
On imagine bien Jean-Philippe Rameau (1683-1764) sur son nuage, appuyer une fois encore sur la télécommande et revoir le film de Philippe Béziat. Une facture qui lui aurait certainement plu, lui qui présenta en 1835 à l’Académie royale de musique, ses Victoires Galantes qui deviendront les Indes Galantes devant un parterre d’aristocrates et de bourgeois minaudant sur la représentation. Il sait qu’en regardant le film de Philippe Béziat il en a été de même. Une partie de la presse n’a-t-elle pas dédaigné cette horde de sauvages traversant le périphérique pour envahir les planches de l’Opéra Bastille ? N’a-t-on pas entendu dans les murmures feutrés, « Pourquoi payer sa place alors qu’on peut voir du hip-hop gratuitement dans la rue ! » Qu’importe ! Les avis étriqués de certains ne pèsent que par le poids de leur conservatisme. Le public, lui, était au rendez-vous. Debout !
Les Indes Galantes sont déchirées par le temps. Œuvres majeure du siècle des Lumières, elle reste trouble et contradictoire aux regards d’aujourd’hui. Opéra-ballet en quatre entrées (la conception de l’acte théâtral n’existant pas alors pour l’opéra-ballet) révélateur de l’ambiguïté des titres. Le Turc généreux, Les Incas du Pérou, Les Fleurs, Fête persane et Les Sauvages avec le célèbre final de la cérémonie du Grand Calumet de la Paix. La célébration rousseauiste du « bon sauvage ». Un voyage exotique décortiqué et repensé par Clément Cogitore metteur en scène et la chorégraphe Bintou Dembélé pour 30 danseurs. Lorsque le plasticien et vidéaste Philippe Béziat pose sa caméra, il est entouré d’un composite de la danse urbaine, hip-hop, krump, break, voguing, flexing… Une première pour l’Opéra de Paris. L’effervescence est palpable. La curiosité. On s’apprivoise entre choristes, chanteurs, musiciens et la tribu. Qui est le plus admiratif ? Les mondes se rejoignent et l’incompréhension s’évapore. Les lignes bougent. Le plus heureux de ce dépoussiérage semble être le chef d’orchestre García Alarcón. La soliste Sabine Devieilhe traversera la scène pour prendre par la main, au moment du salut, le danseur avec qui elle a fait un solo. Une réussite que résume le documentaire en une heure quarante-huit. Comprendre comment des danseuses et danseurs urbains se sont accaparés la musique de Jean-Philippe Rameau. De l’espace scénique. Comment l’institution, elle, a réagi à ce corps étranger plongé dans un milieu hautement structuré, gardien culturel. Une expérience unique que l’on a pu voir sur les écrans en juin 2021 et que l’on peut retrouver aujourd’hui sur un DVD. Des retrouvailles. Un plaisir entier, une découverte et surtout un espoir celui, d’un monde débarrassé de ses préjugés. Oui, la danse urbaine a pris le parquet de la Bastille. Quel plus beau symbole !