Les petits papiers

Le 13×18 est un format aujourd’hui pratiquement disparu. Ici, on ne parle pas de photographie, mais de Bande dessinée. Une denrée rare que certains amateurs et autres collectionneurs continuent à chiner sans relâche dans les vide-greniers. Ces bandes dessinées oubliées, d’un autre temps, font le plus grand bonheur de Gérard Thomassian, propriétaire du magasin FANTASMAK. Une boutique aux mille trésors. Des petits formats, comme on dit. Un peu péjoratif. Mais voilà, ces BD ont la nostalgie tenace. Elles transpirent bien autre chose que simplement le contenu des aventures dessinées d’un Blek le Roc ou d’un Kit Carson. Dessins rapides dus le plus souvent à des auteurs italiens. En poche, les fascicules nous accompagnaient au cinéma. Particulièrement à la séance de 15h du dimanche après-midi. Ce moment où la petite bande se regroupait pour entrer en salle. Le dernier arrivé donnait le pourboire à l’ouvreuse. L’Artistic Palace était l’une des nombreuses salles de Boulogne-Billancourt. Au milieu des années 60, on dénombrait pas moins de 10 salles avec chacune un rideau de scène publicitaire vantant les magasins du quartier. L’Artistic Palace était un lieu particulier. Il appartenait à Renault (les usines n’étaient pas loin) et était la seule salle à programmer des séances l’après-midi dans la semaine pour permettre aux ouvriers effectuant les 3/8 d’aller au cinéma.

Non, ce n’est pas un décor de cinéma. Le cinéma est reconnaissable et le bar hôtel en face accueillait les premiers flipper.Théâtre des Variétés avant de devenir un cinéma dans les années 20

Peut-être faut-il remettre les compteurs à l’heure de ces salles plantées au milieu des quartiers, et qui n’avaient pas la splendeur des cinémas de première exclusivité. Un certain Cinéma Paradiso en quelque sorte. C’est un temps lointain, très lointain où la télévision proposait deux chaînes et où les ouvreuses passaient à l’entr’acte avec leur panier chargé de trésors… A qui l’esquimau au chocolat ? C’est aussi ce moment particulier après les actualités et le documentaire sur les châteaux de la Loire (à croire qu’ils n’avaient que celui-là en stock) que commençait la transaction une fois la lumière allumée. L’échange de ces bandes dessinées petits formats. Le western avait notre préférence. Le must étant d’avoir dans sa besace, une bande ayant un rapport avec le western présenté. Un Hopalong Cassidy, par exemple ! Une série B (mais nous ne savions pas ce que cela signifiait). Une chose était sûre : les films nous paraissaient toujours trop courts. Mais pouvait-on savoir qu’ils ne dépassaient rarement les soixante-quinze minutes ? L’apprentissage de la cinéphilie était au rendez-vous. Entre coup de poings et coup de feu, les films de Budd Boetticher avec leur star, Randolph Scott, aiguisaient nos appétits. Le générique avait moins d’importance que le mot FIN qui nous ramenait à la réalité. Un temps en suspension avant de quitter la salle. C’est pour cela que l’action devait commencer tout de suite… Ne pas attendre. Se couler dans l’image et hurler avec les copains en accompagnant l’action. Nous avions la même effervescence avec nos BD. Un tout inséparable. BD/CINEMA, l’un sans l’autre, cela nous semblait impossible. On se racontait le film en feuilletant un Buck Jones. Un besoin de partage que l’on empilait une fois lu. Le trésor des petits formats était secrètement caché. Nous échangions entre deux récréations, en attendant la séance du dimanche suivant pour nous retrouver. Une complicité entre les petits formats et les films de séries B. Une histoire que l’on croyait éternelle.

Gérard Thomassian, propriétaire du magasin FANTASMAK.