L’ombre de HAMMETT

                                                                                                                                         Retrouvez chez Quarto/Gallimard, Les cinq romans de Dashiell Hammett ont été publiés chez Quarto/Gallimard avec une nouvelle traduction intégrale,

Redécouvrez l’entretien que nous avait accordé Nathalie Beunat, commissaire de l’exposition HAMMETT, organisée par le  Bibliothèque des littératures policières.

Dashiell Hammett

Frederic Forrest dans le rôle titre Hammett (1981) réalisé par Wim Wenders 

Le noir n’est pas seulement signe de deuil – dans les sociétés occidentales – c’est aussi la teinte de la révolte. Cet étendard qui rend l’individu peut-être plus libre, plus cynique face au monde et ses contraintes sociales. Le désespoir colle à la société qu’il fréquente. Il n’en attend plus rien. Il ne croit plus à la justice des hommes même s’il compose avec. Il est de la trempe de ces baroudeurs qui veulent se poser. Il y a chez ce héros cabossé le fatalisme de la vie face à la mort. La mort, il l’a croisée à la guerre. “IL”, le héros de Dashiell Hammett, dont on commémore le soixantième anniversaire de la disparition en ce mois de janvier, vit à l’ombre de son auteur. Dashiell Hammett s’est en effet inspiré de la noirceur des affaires qu’il avait vécues comme détective à la célèbre agence Pinkerton. Il trempe sa plume dans cette période au mille rebondissements pour coucher ses romans sur papier. Six ans à fouiner, à sentir, chien de chasse sans maître. Il endosse l’odeur de la mort pour ressembler à ses clients. Le don est là, dans la perception de la situation et sa description. Aller à l’essentiel. Un instantané photographique. Heurter par des phrases coups de poing. Une description précise sans un mot de trop, comme si la prose n’avait pas le temps d’attendre. Lire aussi vite que la vie. La page tournée devient une journée de gagnée. Le temps est précieux chez Dashiell Hammett. Est-ce parce qu’il côtoie le crime organisé (la mafia), découvre l’importance de la corruption politique à tous les étages de la maison Amérique ? Ou que son alcoolisme rampant le ravage à petit feu ? Nous sommes dans les années 20 et les doigts le démangent. Vite une Remington. Trois romans que la presse qualifiera de Hard-boiled School, que l’on peut traduire par l’école des durs à cuire, que l’on découvrit en feuilletant les fameuses revues bon marché Black Mask. Couverture à la pin-up pulpeuse, au flic viril à la mâchoire carré imprimée sur du papier de mauvaise qualité laissant l’encre vous tacher les doigts. Le rendez-vous est là. Les lecteurs se reconnaissent, ceux de la Grande dépression ne font qu’un. Du coup de poing facile à la loi de la rue, les phrases coulent comme autant de ruisseaux alimentant les artères sociales. Cinq romans auront suffi pour comprendre l’importance littéraire de Dashiell Hammett. La Moisson rouge (1927), Sang maudit (1929) Le Faucon Maltais (1930) et La Clé de verre (1931), l’Introuvable (1931). Les dés seront jetés, Hollywood en fera des films. Mais l’industrie du cinéma n’est pas celle du livre et les adaptions se feront dans la douleur, même si l’on reconnaît la rapidité d’écriture et la justesse des descriptions d’Hammett. Il s’enfonce doucement dans les marécages croisant Chandler qui lui conseille de lire Simenon. Il adore Maigret. La Cité des mirages éblouit Hammett. Il va jusqu’à gagner 800 000 dollars en 1938 et fréquente le couple Chaplin. Cela ne l’empêchera pas de perdre pied, d’accumuler les dettes devant son incapacité à honorer ses contrats comme scénariste. Il n’écrit plus. La source se tarit. Il est l’auteur de cinq romans, de plusieurs nouvelles et du scénario d’un bande dessinée Agent Secret X-9 mis en image par Alex Raymond (Flash Gordon). En 1941, John Huston tourne Le Faucon maltais avec Humphrey Bogart, Hammett participe de loin à l’adaptation. Le rêve californien est devenu un cauchemar. Il est rattrapé par la milice de McCarthy pour avoir participé au comité directeur du Fond de soutien antifasciste (PC). Il se retrouve incarcéré comme espion sous le matricule 8416AK. L’écrivain a 57 ans lorsqu’il sort de cabane, ruiné. Son nom figurera encore sur une petite dizaine de génériques avant de le retrouver alité à l’âge de 61 ans. La fin est proche. A un visiteur qui lui rend visite et qui s’étonne du nombre de machines à écrire dans la pièce, Dashiell Hammett répond simplement “Pour me souvenir qu’une fois j’ai été écrivain”.