Il nous semblait difficile de faire l’impasse sur le relationnel entretenu entre Musidora et Colette. Nous en profiterons pour revenir sur cette collection de 108 pages qui en vaut mille… Le Cinéma des poètes dirigée par Carole Aurouet chez Quidam éditeur.
DE SOIE NOIRE...
L’énigme a un nom : Musidora. Elle se glisse entre les images d’un cinéma encore naissant. Avec cette silhouette qui enivre déjà les spectateurs. Irma Vep, c’est elle, l’égérie des Vampires (1915) de Louis Feuillade, qui entame une aventure mettant Paris sens dessus dessous avec cette bande de criminels remontée comme un coucou. Le cinématographe sait-il qu’il vient de créer l’archétype de La femme fatale ? En rejoignant Feuillade, Musidora a déjà un brin de carrière à son actif. Les trois coups, en 1910, sur les planches de l’Étoile Palace avec la pièce La Nuit de Noces sera son sésame. Elle ne quittera pas les sunlights avant longtemps. Nous sommes en 1915 sur le tournage de Vampires. Louis Feuillage jongle avec les mots et les comédiens. La France est en guerre depuis un an. Et le remplacement des acteurs partis au front se fait au pied levé. Tel un auteur de feuilleton qu’il est devenu, il sait remettre l’action au goût du nouveau venu. N’a-t-il pas fait de même deux ans plus tôt avec Fantômas ? Ajuster chaque fin pour mieux rebondir ! Musidora en sera la grande bénéficiaire. Irma Vep (anagramme de Vampire) lui colle à la peau tout comme sa tunique moulante. Silhouette noire que reprendra Hitchcock en 1955 dans La Main au collet avec Cary Grant et Grace Kelly. Un hommage certainement ! Un ciné-feuilleton de 10 épisodes qui bousculerera les attentes du public. Nous sommes à une époque charnière. Plus tout à fait dans XIXe siècle pas encore les deux pieds dans le XXe. L’entre-deux à faire naître un art sautillant dont les bourgeois n’y voyaient qu’une distraction pour les ouvriers et les domestiques. Déjà vingt ans que le cinématographe existe, allant de foires en places de village, préaux d’écoles, voire grandes salles qui en deviendront les temples. Bentôt un critique italien, Ricciotto Canudo, n’hésitera pas à qualifier le cinématographe de 7e Art. Musidora l’avait-elle pressenti ? Elle est la première star à s’intéresser concrètement à cette industrie naissante. Elle qui abandonnera Irma Vep sans jamais tout à fait l’oublier. L’ouvrage de Carole Aurouet, Marie-Claude Cherqui et Laurent Véray pétille de ce plaisir, celui des retrouvailles avec une femme qui a marqué par sa détermination son avenir de femme. Au fil des pages se construit le portrait complexe de cette comédienne marraine de guerre (14-18) qui se savait icône. Un mythe. Ne deviendra-t-elle pas l’une des trois réalisatrices avec Germaine Dulac et Alice Guy à bousculer le patriarcat cinématographique ? Elles en ont joué des coudes, pour ne pas se faire bouffer. Musidora se voulant indépendante créera sa propre maison de production et deviendra scénariste et réalisatrice de ses films. Un engagement complet que l’on retrouve dans sa démarche d’artiste totale. L’Art comme un tout. Politique. A une époque où le regard des hommes suspectait toute avancée féminine comme autant de crime de lèse-majesté. Musidora retroussa ses manches comme un ouvrier au turbin, fuma et s’habilla comme un homme et s’imposa femme. Un symbole d’émancipation, mille fois imité : femme fatale blottie dans ombre de Musidora. Un double dont il est difficile de se défaire. Elle en joue et l’écrit. Poétesse, elle s’enivre de mots pour ne pas perdre les traces de l’Histoire. Ne rejoindra-t-elle pas en 1943, la Cinémathèque française d’Henri Langlois en proposant de remonter le temps. Son temps, celui du cinéma muet, des primitifs, de tous ces fantômes qui hantent nos mémoires d’un cinéma oublié. L’ouvrage collectif dirigé par Carole Aurouet, Marie-Claude Cherqui et Laurent Véray est une aventure à dévorer. Comme autant d’épisodes d’Irma Vep. Le scintillement des pages tournées rappellent la promesse d’une séance attendue. Celle que l’on découvre en regardant le faisceau lumineux sortir de la cabine au rythme de l’obturateur de projecteur. Musidora Qui êtes vous ? Est un film, à ne pas en douter !