Apprendre à aimer la guerre...
La réalisatrice Ilze Burkovska Jacosen et son double. Même yeux, même sourire qui nous fait traverser l’histoire de son pays la Lettonie jusqu’ à libération et pour Ilze, la fin de la seconde guerre mondiale.
… Selon l’URSS. Autant de certitude scotchées à ces temps anciens qui nous rattrapent aujourd’hui par le col. My Favorite War le film de la réalisatrice lettonienne Ilze Burkovska Jacosen signe un documentaire d’animation salué par le Festival d’Annecy en 2020. Deux récompenses : les prix Contrechamps et SensCritique. De quoi aborder les écrans avec une certaine sérénité. Un film qui fait écho aux soubresauts d’une guerre froide qui ne dit pas son nom et d’un rideau de fer qui s’abat dans le fracas de l’invasion de l’Ukraine. Un documentaire animé, mais pas que, la mémoire enfouie en est le propos principal… Neuf ans pour défricher et mettre en ordre ses pensées découvertes dans un bac à sable, alors jeune enfant. Ainsi va le cinéma et son auteure. Défricher. Archéologue de la mémoire effacée. Souvenirs disloqués par la propagande russe. Ilze Burkovska Jacosen signe un documentaire tout en finesse, avec cette légèreté qu’offre une animation qui semble sortir tout droit de livres d’enfants dédiés aux contes slaves. Nous sommes au début des années 70 en Lettonie. Une République Socialiste Soviétique. La réalisatrice y raconte son enfance sous le régime autoritaire et bon enfant de l’URSS, l’ombre du petit père des peuples plane encore. Être endoctriné c’est entendre son cœur battre de peur que la vie s’arrête, croire en la réalité officielle et ne pas comprendre immédiatement que les adultes écoutent d’autres voix que celles de Moscou. Fière d’être pionnière du partie communiste, la jeune Ilse s’applique à correspondre en tout point à la propagande et aux codes enseignés. Aimer la guerre pour préparer la paix. Le message est clair et se scénarise dans des feuilletons TV comme Four Tank-Men and a Dog diffusés dans les années 60 sur les chaînes soviétiques. Ils n’ont rien à envier aux séries américaines de l’époque. L’amour d’une patrie meurtrie par la Seconde Guerre mondiale et le combat sans relâche contre les nazis… Un filage qui nous fait écho. La peur est là, à l’ombre de la troisième guerre mondiale qui depuis quelques temps agite à nouveau son chiffon rouge sous nos nez. Rhétorique combattante au nom de la lutte contre l’ennemi héréditaire qui a fait plus de 25 millions morts en URSS. Dans cette paranoïa, on qualifie l’autre de nazi, pour mieux justifier. Le film d’Ilze Burkovska Jacosen a la grisaille de nos souvenirs. Pas un gris sale, non ! Celui de nos perceptions pas si claires que cela. La réalisatrice nous apprend, sans dogme, à nous échapper. Être réaliste, éviter de s’embourber avec les mensonges étatiques. Un film qui, par son approche acidulée, nous apprend la vigilance de l’esprit critique. Les murs tombent pour que nous retrouvions un peu de l’arc-en-ciel. Un film à l’espoir fragile. Libéré du joug de la défunte URSS, la Lettonie rejoindra en 2004 l’Otan et l’Union européenne. La réalisatrice ne dira-t-elle pas à la fin du documentaire, à ce moment où la Lettonie retrouve sa souveraineté en 1991, cette libération mettait fin à la Seconde Guerre mondiale. En revoyant ses images vieilles de trente ans on a l’impression que l’Histoire bégaie. My Favorite War est un documentaire d’animation qui a le goût de la détermination. Entre images réelles de la réalisatrice et son amie d’enfance et l’animation, la combinaison subtile est à la hauteur de l’ambition. Un film réussi. Comme il semble simple d’offrir cette éclaircie politique après plusieurs années de travail acharné.