Partir ?

L'empreinte

Partir ? D’où ? De chez soi ? D’autre part ? Pour un lieu rêvé ou vendu comme tel ! L’aventure souvent sans lendemain imprime sa violence à celui qui n’est pas du cru. L’herbe est-elle plus verte ailleurs ? Les passeurs la vendent pour argent comptant. Partir : un aller, un retour et les illusions laissées au fil du désespoir dans l’attente d’une rencontre avec l’eldorado occidental. Les vendeurs de chimères sont des bonimenteurs. Ils savent dénouer la bourse du désespoir. Le film de Mary-Noël Niba est une recherche du temps que l’on croyait généreux. Rien de tel. La caméra cisèle les intentions de chacun jusqu’au plus tenace qui refuse de retourner au Cameroun. Son rêve est musical. Guy Roméo veut devenir chanteur comme le rappeur Mac Tyer. Et les autres ? Stéphane, Léo, Cheikh, Boye Gaye… Des femmes, des hommes, brûlés par les mirages. Nous suivons avec pudeur les témoignages, les ressentis, les longs silences. Filmer la beauté de la résistance. Les confidences sont là. En pointillés. Décortiquer ce moment qui vous gèle, où l’on s’aperçoit que des entreprises espagnoles viennent faire leur marché avec la bénédiction des collectivités locales. Des femmes, plutôt illettrées pour ne pas contester les contrats d’embauche, et surtout leur signifier par un paraphe, le congé brutal au petit matin avec 150 € en poche après plusieurs semaines de servage. Ainsi se cache une économie parfaitement régulée qui a le visage de l’ignominie. Parler devient indispensable. La réalisatrice a su offrir ce partage sans reflux dramaturgique. Rien que des portraits de femmes et d’hommes fixant les spectateurs. La force des témoignages, leur lucidité. Humain dans le sens noble du mot. Les souvenirs s’écrivent dans les chimères. On attendra le dernier moment avant de fermer la valise. Les retours que l’on croyait glorieux se fondent dans la tristesse familiale. Ne sont-ils pas plus violents que les épreuves de l’aller? Ne vous y trompez pas. La noblesse des épreuves à cette fierté de ceux qui ont essayé. Il ne suffit pas de regarder l’horizon pour rêver. Le documentaire impose le respect de ces invisibles. Tout le film draine ce sentiment étrange de l’absence. La réalisation de Mary-Noël Niba décortique ce besoin de croire, comme les Irlandais à la fin du XIX e siècle, voguant en fond de cale vers les Amériques. Le cinéma griffonne l’histoire là où il faut. Sur l’écran, comme une empreinte. A vous spectateurs de mettre vos pas dans les marques de ces femmes et de ces hommes et de ne pas détourner le regard.