Pionnière en Tout

Serpentine Dance by Lina Esbrard (1902) Alice Guy-Balché

 Madame a des envies (1907) Alice Guy-Balché

Pierrette’s Escapades (1900)  Alice Guy-Balché

Alice est née le 1 juillet 1873, année où Adolphe Thiers appelle l’assemblée à voter d’une façon définitive la constitution de la républicaine fraçaise. Constitution qui devrait donner les mêmes droits aux femmes comme aux hommes. Que ni-ni. C’est aussi dans les alentours de 1876 que la photographie anime le mouvement. Eadweard James Muybridge dispose 24 appareils photos le long d’un hippodrome, déclenchés par le passage du cheval. La décomposition du mouvement engendra le cinéma. L’image comme référent. Alice Guy-Blaché est née avec l’image comme référent. A 23 ans Elle deviendra réalisatrice, la premier femme à diriger et à mettre en scène devant la caméra. Ce n’est pas tout, elle est aussi la premiere réalisatrice à réaliser un film fantastique. En 1896, un an après la naissance officielle du cinéma. Et pour la réalisatrice de


Guy, ou Alice Guy-Blaché (à partir de son mariage en 1907), née le 1er juillet 1873 à Saint-Mandé et morte le 24 mars 1968 à Wayne1 dans l’État du New Jersey aux États-Unis, est une réalisatrice, scénariste et productrice de cinéma française, ayant travaillé à la fois en France et aux États-Unis.
Pionnière du cinéma, elle propose à Gaumont, chez qui elle n’est initialement que secrétaire, de tourner de courtes fictions pour soutenir la vente des caméras et projecteurs. Avec La Fée aux choux, qu’elle tourne en 1896, elle est la première réalisatrice de l’histoire du cinéma2,3. Cette œuvre est considérée comme le premier film fantastique de l’histoire du 7e art4,5,6 ; tandis que L’Arroseur arrosé de Louis Lumière est une comédie7. Les fictions en dessin animé d’Émile Reynaud, datent quant à elles, de 18928.
Elle est aussi l’auteure du premier péplum de l’histoire du cinéma mondial en proposant les premières représentations filmiques de la vie de Jésus-Christ, en plusieurs épisodes9, qui ont ensuite été une source d’inspiration pour beaucoup d’autres cinéastes, français ou américains.
Il faut également la créditer d’avoir eu, la première, l’idée de faire un making-of à l’occasion du tournage de l’une de ses phonoscènes.
En 1910, elle devient la première femme à créer une société de production de films, la Solax Film Co10, durant sa période américaine, avant la naissance d’Hollywood.

Carrière française : la première réalisatrice du cinéma
Alice Guy entre à 21 ans comme secrétaire de direction au Comptoir général de la photographie, dont Léon Gaumont est employé. Mais la société, mal gérée, est forcée de déposer son bilan. Avec deux associés, Léon Gaumont la rachète, gardant le personnel, dont Alice.

Alice Guy s’intéresse de près aux bouleversements techniques de la photographie. Elle suit des cours avec Frédéric Dellaye, un photographe avant-gardiste qui lui apprend le développement des plaques photographiques, l’utilisation des différents matériels de laboratoire et le trucage photographique. Elle suit également les expériences de Wilhelm Röntgen concernant les photographies par rayon X.

En mars 1895, Alice Guy assiste avec son employeur, Léon Gaumont, à une projection privée des frères Lumière, organisée dans les locaux de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale. Léon Gaumont envisage de suivre l’exemple de Louis Lumière et de démarcher sa clientèle aisée afin de lui vendre des appareils de projection de vues animées. Seule la vente des machines l’intéresse, « il avait considéré longtemps la vente des appareils comme sa principale industrie et le commerce des films comme un accessoire. »12. Fin 1895, Léon Gaumont rachète les brevets d’un système peu performant, le Phonoscope, à son inventeur, Georges Demenÿ (ancien bras droit d’Étienne-Jules Marey), dont la société vient d’être liquidée. Léon rebaptise la caméra de prises de vues le “Biographe”, et l’appareil de projection le “Bioscope”. « Mais l’exploitation fin 1895 du Phonoscope, de même que la caméra à came battante et à film non perforé, sera un désastre commercial pour Gaumont13 ».

Alice Guy essaye bien de convaincre son employeur de compenser les défauts du procédé en faisant cadeau aux acheteurs des appareils, de quelques « vues comiques » dans l’esprit de L’Arroseur arrosé. Léon Gaumont, réticent, finit par l’autoriser à tenter un essai « à condition que ce soit en dehors de ses heures de travail ». En 1896, Alice Guy, alors âgée de 23 ans, réalise La Fée aux choux14. Elle-même se désigne comme « “directrice de prises de vues” (…) le personnage est une fée qui extrait d’un potager de choux un nouveau-né qu’elle montre, ravie, à la caméra. Bien que le tournage soit effectué dans un véritable jardin, tous les végétaux sont reconstitués en bois et plâtre peints. ». Une seconde version est réalisée en 190015,16,17.

Le succès de cette bande décide Léon Gaumont à lui confier la direction d’un service spécialisé dans les vues animées de fiction, ce qu’elle fait de 1896 à 1907, tournant elle-même les premières bobines, et choisissant ensuite ses collaborateurs. C’est ainsi qu’en 1904, Alice Guy embauche Ferdinand Zecca qui réalise Les Méfaits d’une tête de veau18. Elle fait aussi débuter dans la profession comme réalisateur Louis Feuillade, qui va devenir le préféré de Léon Gaumont, et comme décorateur Henri Ménessier. Le film lisse de 60 mm ou 58 mm de large employé au moment de ces débuts, trop cher et peu fiable, sera remplacé par du film à perforations Edison, de 35 mm de large, auquel on adaptera la caméra et le projecteur Gaumont 19. Les procédés Demenÿ, archaïques, seront aussitôt définitivement abandonnés.


Alice Guy, 1906.
En 1898-1899, Alice Guy innove dans le choix des sujets en tournant plusieurs scènes de la vie et de la Passion de Jésus-Christ. L’ensemble a une durée exceptionnelle de 35 minutes mais les bobines sont vendues séparément, comme autant d’épisodes. « Alice Guy signe ainsi le premier péplum de l’histoire du cinéma. »15,20. Le succès commercial inspire d’autres productions sur le même sujet (Lumière, Pathé…)21. En 1906, elle complète ces différents épisodes par une production à gros budget pour l’époque, avec 300 figurants et 25 tableaux, soit plus de 600 m de film (environ 1/2 heure). Elle reçoit pour celle-ci les félicitations de Louis Gaumont, et la médaille de la ville de Milan.


Chronomégaphone Gaumont : Les deux lecteurs de disque, appelés “Elgéphone” (LG étant les initiales de Léon Gaumont), forment le système “Chronomégaphone” pour équiper en son les salles de cinéma qui programment les “Phonoscènes” dirigées par Alice Guy, 1910.
Entre 1902 et 1906, Alice Guy réalise, ou dirige la production d’une centaine de phonoscènes22 enregistrées à l’aide d’un couple de machines inspiré du Chronophone de Georges Demenÿ. Sont ainsi conservées pour la postérité des prestations de chanteurs d’opéra et de chansonniers populaires comme Dranem ou Félix Mayol, réalisant le rêve de Thomas Edison qui imaginait le même couple dès 1887, qui aurait permis d’« assister à un concert du Metropolitan Opera cinquante ans plus tard, alors que tous les interprètes auraient disparu depuis longtemps23 ». À cette occasion, Alice Guy fait tourner le premier making-of d’un film, intitulé aujourd’hui Alice Guy tourne une phonoscène.

Les réalisations personnelles d’Alice Guy sont de plusieurs centaines de films, très courts, comme le sont tous les films à l’époque, et dans tous les genres possibles. Elle aborde aussi des thèmes sociaux qui lui tiennent à cœur. Ainsi, son court-métrage sarcastique de 1906 intitulé Les Résultats du féminisme, dans lequel hommes et femmes échangent leurs rôles, reste actuel par son évaluation inversée du principe « deux poids, deux mesures ». Cette même année 1906, Une femme collante et Madame a des envies mettent en avant, ici encore avec ironie, des clichés sur le désir féminin. « Elle s’intéressait beaucoup au sexisme. Et elle aimait faire des films avec des héroïnes féminines actives et aventureuses »11, remarque l’historienne du cinéma Shelley Stamp.

En 1907, elle épouse Herbert Blaché, un opérateur issu de l’agence Gaumont de Londres, qu’elle avait rencontré brièvement en France en 190624 et mieux connu lors d’un voyage professionnel en Allemagne quand il était directeur de l’agence Gaumont à Berlin 2,20. Léon Gaumont envoie Blaché comme expert de son Chronophone auprès d’un industriel de Cleveland aux États-Unis, à qui il a cédé des droits d’exploitation25. Alice Guy se fait remplacer par Louis Feuillade comme directeur artistique et part avec son mari.

Carrière américaine

Alice Guy et Herbert Blaché (1916).
Alice Guy et son mari s’installent aux États-Unis à Flushing, près de New York, et tentent de promouvoir l’invendable Chronophone de Gaumont.

En 1910, Alice Guy monte sa propre société, la Solax Film Co, dont elle est présidente et directrice de production26. Les premiers studios sont construits à Flushing. Devant le succès, ceux-ci deviennent trop exigus, et deux ans plus tard, en 1912, de nouvelles installations sont construites à Fort Lee (New Jersey). Solax devient l’une des plus grandes maisons de production des États-Unis juste avant l’émergence d’Hollywood. Ces studios connaissent un fort développement et accueillent d’autres compagnies de cinéma : la Goldwyn Pictures corporation s’y installe de 1916 à 1917 avant de rejoindre les studios d’Universal ; Pathé en loue une partie en 1918, tout comme Lewis J. Selznick en 1917. En tout, plusieurs centaines de films y furent tournés. La Metro Pictures Corporation y fait ses débuts comme distributeur des films de la Solax27.

Alice Guy place un grand panneau sur les plateaux : « Be Natural » (soyez naturels !). Elle tourne des mélodrames (Les Feuilles chéant (en), 1912), des westerns (Greater Love Hath no Man, 1911), des films sur la guerre civile (For the Love of the Flag, 1912). Elle s’intéresse souvent aux problèmes ethniques28 : Across the Mexican Line (1911), A Man is a Man (1912), Making of an American Citizen (1913). Lorsque ses acteurs blancs refusent d’apparaître à l’écran avec des acteurs noirs, elle réalise A Fool and His Money (1912) qui est le premier film joué uniquement par des acteurs afro-américains11,29. Au cours de ces années, les films d’une seule bobine, les One reel movies d’un quart d’heure, ne sont plus la durée préférée des spectateurs ; les Three reel movies de 45 minutes sont désormais courants. Alice Guy livre ainsi un Fra Diavolo (1912) et un Dick Whittington Cat (1913).


Affiche de The Lure (film perdu), 1914.
Le couple travaille de concert, mais dès que son mari n’est plus en contrat avec Gaumont, en 1913, elle le nomme président de la Solax. « Je lui avais abandonné les rênes avec plaisir. Je n’assistais à aucune réunion des conseils où la Sales & Co composait les programmes, j’aurais, disait Herbert, “gêné les hommes qui désiraient fumer leur cigare en paix et cracher à leur aise tout en discutant des affaires”30 ». Trois mois plus tard, Herbert Blaché démarre sa propre compagnie, Blaché Features, qui absorbe ensuite la Solax.

Les Blaché rejoignent la Popular Plays and Players. En 1914, Alice tourne The Lure, un film (perdu) qui évoque la traite des blanches ; en 1916, sept films longs dont Ocean Waif, et en 1917, The Empress, une histoire de chantage. Les étoiles d’Alice Guy se nomment Olga Petrova, Bessie Love, Blanche Cornwall et son partenaire Darwin Karr, Vinnie Burns, ainsi que Claire Whitney, Doris Kenyon, Lee Beggs, Mace Greenleaf, Marion Swayne, et Billy Quirk.

Durant l’année 1917, Alice Guy produit et tourne pour Popular Play and Players et pour US Amusements. Plus tard, elle met ses talents de réalisatrice au service d’autres compagnies sur des scénarios imposés. Le cinéma, devenu une grande industrie, migre sur la côte ouest des États-Unis, à Hollywood, où les indépendants ont peu de place. Les studios de Fort Lee sont vendus pour apurer les dettes dues à la mauvaise gestion d’Herbert Blaché.


Two little strangers, Solax, 1912


Fichier:A Fool and His Money 1912 selections.webm
A Fool and His Money, 1912

The Pit and the pendulum, 1913

Tarnished Reputations avec Dolores Cassinelli et Alan Roscoe, 1919

Après l’Amérique
En 1919, son mari la quitte pour une actrice et part à Hollywood. Elle le rejoint un temps sur la côte ouest et l’assiste sur ses tournages l’espace de deux films. Mais le couple finit cependant par divorcer. Elle s’en trouve très affectée, et en 1921, se voit contrainte de vendre son studio de Fort Lee pour éponger des dettes dues en grande partie à la mauvaise gestion d’Herbert Blaché. Divorcée et ruinée, Alice âgée de 50 ans décide en 1922 de rentrer en France avec ses deux enfants, où elle est hébergée chez sa sœur à Nice20. Elle ne pourra recouvrer un emploi, ni à la Gaumont ni auprès d’autres sociétés de cinéma11,31.

En 1927, elle retourne aux États-Unis pour tenter de récupérer ses films. Elle parvient seulement à en retrouver trois. Elle suit Simone, sa fille, qui a obtenu un emploi à l’ambassade américaine. Elle écrit alors des contes pour enfants sous divers pseudonymes, dont celui de « Guy Alix ». Elle donne aussi des conférences dans diverses universités et à l’occasion de rencontres cinématographiques.

En 1957, à l’initiative de Louis Gaumont, le fils de Léon Gaumont, elle reçoit un hommage de la Cinémathèque française.

En 1963, alors qu’elle est âgée de 90 ans, Victor Bachy l’interviewe et publie sa biographie32.

Elle meurt en 1968 aux États-Unis, à l’âge de 94 ans, sans avoir pu rassembler les films de sa carrière ni faire publier ses mémoires. Ces dernières finiront par paraître en 197633.