Plus dure risque d’être la chute

TRACT : Diffusion d’informations syndicales, révolutionnaires, libertaires. Shaker à idées. Offrir son opinion citoyenne. Caméra au poing, Ciné-tracts de Godard et Chris Marker, la vidéo et son pouvoir d’indépendance (relative)… Aujourd’hui, c’est lui le smartphone qui devient la caméra stylo rêvée d’Alexandre Astruc. Une liberté construite avec la Nouvelle vague, dont on fête les 60 ans d’un des fleurons, A bout de souffle de Jean-Luc Godard. Drôle d’anniversaire en épitaphe. Le Covid n’en finit pas de nous empêcher de respirer, de confiner nos idées et de nous faire actionner les robinets d’images. La seconde vague se fracasse sur les digues de nos croyances. Les clapotis en tête.
Que reste-t-il de nos envies cinématographiques dans cette contraction de vie ?  Dans le numéro 20 de TRACTS (3,90€ – Gallimard), le réalisateur et critique Olivier Assayas nous interpelle sur Le temps présent du cinéma. Tel un sphinx, il interroge. La sagesse est dans l’écrit. Il aurait aussi pu intituler son essai “Qu’est que le cinéma, aujourd’hui ?“, en reprenant le questionnement de André Bazin. Sans beaucoup d’imagination, on pourrait paraphraser Proust, A la recherche du cinéma perdu. C’est bien de cela dont nous entretient Olivier Assayas. Le retour impossible aux origines. Et les spectateurs que nous sommes, dont certains grognards de la première heure (comprenez cette vague cinéphile de l’après-68), ont plus ou moins de mal à percevoir que le cinéma d’art et d’essai qui prit naissance chez Langlois s’essouffle malgré le soutien d’un grand nombre de responsables de salles.
Les approches d’Olivier Assayas sont multiples et complémentaires. Elles ont un but, comprendre la fonction future du cinéaste dans le cinéma contemporain. Les mythes n’étant pas reproductibles tels Ford, Kurosawa, Welles, Renoir, Hitchcock, Godard et beaucoup d’autres, les jeunes réalisateurs deviennent orphelins. Une cinéphilie figée dans l’histoire que l’on regrette à la manière d’un paradis perdu. Des grands noms devenus au fil des ans, des maîtres qui inspirent mais dont la jeune génération s’éloigne à juste titre pour trouver son propre chemin. Re-construire. Voilà des films existants qui peuvent avoir du mal à trouver leurs marques. Le public peut-être ? Dont l’attente est autre ? Plus volatile. Des spectateurs qui ne fétichisent plus le 7e Art. La crise que nous vivons ne fournit-elle pas d’autres envies ? Un décrochage que les grands groupes ont déjà prévus. 
Le cinéma “rêvé”, celui des revues, des ciné-clubs, des salle d’art et d’essai, des films du patrimoine, peut-il exister sans la salle ? Le Covid a déplacé dans nos têtes le curseur “cinéma”.  Gommant le lien jusqu’ici indissociable de la salle et du film. Mais voilà, d’autres écrans se sont interposés. La salle comme élément centrale du désir cinématographique devient le maillon faible.
Le texte écrit avant la pandémie est une interrogation aussi importante semble-t-il que le manifeste de Truffaut sur la politique des auteurs paru dans le numéro 51 des Cahiers du cinéma (février 1955). Une comparaison qui peut-être dérangeante pour les gardiens du temple. Qu’a cela ne tienne. Le choc est là, dans la force du séisme. Celui du regard dans un premier temps, puis de l’abandon de la cinéphilie, ensuite. Olivier Assayas pointe le doigt là où cela fait mal. Le vide créé par cet abandon. Un désert qui s’est installé au fil des décennies dans le rapport fusionnel que beaucoup de spectateurs avaient avec le film. La magie n’est plus. Elle a disparu au profit de l’instant marketing, laissant sur le bas-côté de la Culture, un grand nombres de réalisations devenues invisibles et qui mériteraient pourtant toute notre attention. Le turnover rapide des films dans les salles frustre le plaisir de l’exigence, de la découverte, des surprises. Le fossoyeur du temps fait son œuvre. La curiosité s’estompe. Le temps est à l’urgence. Se dépêcher si l’on veut voir ce film unique Quand les tomates rencontrent Wagner de Marianna Economou (on en reparlera). Les oeuvres se bousculent malgré le Covid. Les mastodontes aiguisent la faim et profitent des structures comme Netfix ou Apple pour tirer leur épingle du jeu, au point de revoir leurs stratégies de diffusion en salles.  Combien de salles sont-elles en mesure de résister ? La salle Accatone à Paris vient de jeter l’éponge, l’emblématique Mac Mahon reste fermer tout comme le paquebot Rex. D’autres en province suivent le même chemin. Combien de salles gérées par des associations ré-ouvriront ? Le cinéma s’enfonce dans la normalité de la consommation, constate Olivier Assayas. L’entre-soi gère un nouveau moyen de visionner les films. Grand écran et vidéo projecteur sont venus s’installer au cœur des appartements. Netfix, Apple, Canal +, OCS,  toujours eux, viennent de faire une semaine promotionnelle à la manière de la fête du cinéma : un abonnement unique et films à gogo pendant une semaine… Les robinets sont ouverts.
Les salles se battent avec l’énergie de l’espoir, avec en soutien, les réalisateurs, techniciens et comédiens qui se déplacent. Reconnaissons que cet acte “militant et de partage” dans toute sa force rejoint le TRACTS d’Olivier Assayas. Ecouter le battement de cœur du 7e Art.  Pour ne pas qu’il s’arrête.