Premières Urgences

Le réparateur de l'imprimante est-il arrivé ?

Il y a comme cela des petits soucis bureaucratiques qui énervent un brin, allant jusqu’à gâcher une journée pourtant bien commencée. On peut s’attendre à tout jusqu’à passer des heures au téléphone pour résoudre un problème administratif qui ne concerne pas le service. Des petits riens qui s’accumulent et mènent au bort de la crise de nerf, du pétage de plomb. Des dysfonctionnements que l’on voudrait ne plus voir s’inviter, mais bien présents dans le quotidien du service des Urgences de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis (93). L’ambiance posée. Il est tant qu’entrent en scène, les internes, prêts à pousser les portes vitrées du service de Mathias Wargon, chef des Urgences. Ils sont cinq à plonger tête la première dans le bain. Amin, Evan, Hélène, Lucie et Mélissa. Un discours du boss à l’humour caustique en guise de salutations : « Bienvenue aux urgences de Saint-Denis. Vous avez choisi de faire votre internat dans notre service car vous avez tous envie de devenir urgentistes, j’imagine... » Lever de rideau. Il ne faut pas longtemps aux stagiaires pour comprendre l’état de délabrement dans lequel se trouve le service. Survivre au manque de lits, de personnels, à la violence qui s’invite. La caméra d’Eric Guéret se fait discrète pour enregistrer les difficultés qui s’accumulent, la précarité de l’accueil et des soins, le point de non-retour. Il filme un navire en perdition qui a cette particularité d’accueillir des urgences psychiatriques, ce qui n’est pas une mince affaire. Le bateau se voulait insubmersible. Il prend l’eau. Heureusement l’orchestre n’est pas là pour l’oraison funèbre. Il y a encore une chance : celles et ceux qui ont en charge l’hôpital public. Que vogue le navire ! La Covid que l’on indexe de tous les maux a bon dos. Les blessures sont anciennes, douloureuses, jamais refermées. Filmer la dignité dans la tourmente, c’est ce qu’a réussi. Eric Guéret en suivant les cinq stagiaires portant fièrement leurs blouses blanches, déambulant dans le labyrinthe de l’établissement, participant aux réunions de services, découvrant le gouffre. Cet « hôpital » et ses services que les politiques vantaient comme un des meilleurs du monde. Surjouant les comparaisons. Rien de cela, l’état d’abandon est à la hauteur du constat filmé. L’effritement des structures présentes, sclérosée. Pour la première fois, par manque de personnel, des urgences ont été fermées cet été (2022). Le documentaire d’Eric Guéret constate par touches. A travers les difficultés, il brosse avec tact le portrait de celles et ceux qui tiennent à bout de bras les services de l’institution avec courage et « militantisme ». Ils font corps.
Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien ! 
Et le jour où la vocation ne sera plus au rendez-vous ?  Ce jour où fatigués de jouer les équilibristes, de tenir à bout de bras un hôpital à bout de souffle, les médecins, infirmières, aide-soignantes et l’ensemble du personnel claqueront la porte. Le château de carte fragile s’effondrera sans que les politiques qui font de la politique comprennent ce qui se passent. « On a fait notre maximum« , « On est allé au-delà des limites« , pourrait-on entendre dans les couloirs de l’Assemblée. Peut-être, mais le monde de l’hôpital va au-delà du maximum, de la ligne rouge. Le refus de voir l’impensable. Les élus et autres administrateurs, sans parler des experts, préférant ripoliner la façade alors que le monde médical crie au feu. Une pandémie a suffi pour mettre à jour un édifice sans fondations. Laissons à Amin, Evan, Hélène, Lucie et Mélissa l’espoir de leur génération. C’est sûr, ils seront se dépatouiller et regarderont les élus dans les yeux : « Et maintenant, il serait bon que vous retroussiez vos manches ». La question que soulève le documentaire d’Eric Guéret : Y-a-t-il des Urgences pour les Urgences ?