Une marque indélébile

M le maudit de Fritz Lang (1932) – Peter Lorre

La fameuse couverture incriminée par Hergé et retouchée par  Edgar P. Jacobs. Trop réaliste pour le père de Tintin.

Exposition Scientifiction, Blake et Mortimer au musée des Arts et Métiers

Peter Lorre regarde par dessus son épaule, le mal est là, traçable. Une lettre écrite à la craie sur le manteau du criminel, tout est dit. Même le reflet renvoie la lettre M dans le sens de la lecture. Un signe ? Peut-être. Le film de Fritz Lang (1932) aura droit à son remake en 1951, avec Joseph Losey aux manettes. « Blasphème« , écrivent alors dans la violence des mots André Bazin et l’équipe de la jeune revue des Cahiers du cinéma. Deux ans séparent le film du réalisateur anglais de cet autre M cerclé de jaune. Le mal absolu en couverture du journal Tintin. Ce qui vaudra à l’auteur, Edgar P. Jacobs, les foudres du patron, Hergé. La coïncidence est là, dans le choix de la lettre M. Alfred Hitchcock fera de même en 1954 en l’inscrivant en gros caractère sur l’affiche du film, Dial « M » for Murder (Le crime était presque parfait). Encore une représentation du mal. Mabuse n’est pas loin, lui aussi avec ce M. Certainement d’ailleurs qu’Edgar P. Jacobs en signant La Marque Jaune avait en tête l’expressionnisme allemand et les premiers films de Fritz Lang. En témoigne l’analyse que l’on peut faire des pages. Est-ce un hasard si le réalisateur Alain Resnais, grand connaisseur du 9e Art, fonda avec Chris Marker le Centre d’études des littératures d’expression graphique ? Un titre long comme le bras pour parler de BD. Se joindront au cercle, Jean-Claude Forrest, Alejandro Jodorowsky, Edgar Morin, Alain Robbe-Grillet, Delphine Seyrig… Une partie du financement de l’association permettra à Alain Resnais de faire un voyage aux États-Unis sur les traces de Mandrake le Magicien, un comic strip signé Lee Falk. Un voyage sans débouché cinématographique. Chez Alain Resnais, la bande dessinée est omniprésente. Dans quasiment chacun de ses films. Il était donc normal que son regard se pose sur le cinquième album des aventures de Blake et Mortimer, La Marque jaune. Il faut croire à la malédiction. Le film ne se fera pas malgré un repérage photographique conséquent (à découvrir sur le site https://www.centaurclub.com/forum/viewtopic.php?t=3299 )Un reportage qui deviendra un livre. L’œuvre de Edgar P. Jacobs hante les cinéastes. A la différence d’un Hergé ou d’un Franquin, le travail d’Edgar P. Jacobs se reconnaît dans le 7e art. Le cinéma et ses clairs-obscurs, ses contre-jours, les décors magnifiés servant les personnages. Une écriture scénaristique que jalouse un temps le père de Tintin. Un ensemble réaliste et adulte qui n’attend que la caméra. Elle ne viendra pas. Un moment espéré du côté d’Hollywood, le serpent de mer fait à nouveau surface en Espagne. Avec cette fois-ci un budget bouclé. Les espoirs sont là ! C’est le réalisateur Alex de la Iglésia qui sera aux commandes. On connaît de lui Pris au piège (2017), Crimes à Oxford (2008), Le Jour de la bête (1996) mais également qu’il fut le compagnon de route de Pedro Almodovar. Ce qui fait du réalisateur de Bilbao un bon parti, mais aussi, il faut le reconnaître, quelques craintes en déplaçant l’action de Londres en Espagne, peut-être Madrid. Il faut aussi ajouter au changement de latitude, l’univers déjanté du réalisateur qui confiait avec délectation « qu’il s’agira d’un film terriblement dramatique saupoudré d’humour« , ce qui signifie une adaptation libre, agrémentée d’absurde, loin des codes rigoureux d’Edgar P. Jacobs. Attendons la concrétisation du projet. En attendant, nous pouvons feuilleter Le Cri du Moloch, le troisième opus d’un cycle qui ne devait en compter qu’un, La Marque jaune. Un album qui se suffisait à lui-même. L’aventure qui fit entrer Blake et Mortimer dans le cercle très fermé des héros de BD ancrés dans la mémoire populaire. On imagine aisément les éditeurs d’alors ronger leurs freins. Il faudra attendre la disparition d’Edgar P. Jacobs (1904 – 1987) pour que les fans retrouvent à quelques années près l’album L’Onde de Septimus (2013) suivi en 2020 par Le Cri du Moloch. Une suite formant un triptyque que lorgne cette fois-ci le petit écran. La télévision justement qui a vu l’adaptation en animation des albums Blake et Mortimer ainsi que des scénarios inédits en 1997. Treize épisodes de quarante-cinq minutes : seules concrétisations, alors restons prudent sur les effets d’annonces. Le cinéma et la bande dessinée font rarement bon ménage. Une mésentente cordiale. A qui la faute ?  

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