Vedette

La philosophie de l'étable

Au Salon de l’agriculture, elles seront toutes là, à faire les fières devant les Parisiens. Il y en aura même une que se vantera d’être en haut de l’affiche. Mais la vraie vedette est absente. Elle ne fait pas partie de la représentation. Relâche. Elle a quitté le plancher des vaches et gambade ailleurs, quelque part dans les prairies éternelles. Vedette est à part, c’est une reine que les réalisateurs Claudine Bories et Patrice Chagnard ont croisé dans ce village logé à flan de montagne (on pense à Ferrat) dans les Alpes françaises. Vedette a gagné son statut : Reine parmi les reines. Mais voilà, la monarque vieillissante ne peut plus rivaliser dans le combat avec de jeunes femelles qui toutes désirent prendre sa place. Vedette n’abdiquera pas. Ses deux maîtresses refusant de voir la déchéance. Elle ne fera pas ce combat de trop organisé par les éleveurs (l’ouverture du film est un clin d’œil à La Rivière rouge de Howard Hawks). Tradition d’alpage qui autour d’une arène réunie la population locale. Jeu de pouvoir et d’intimidations, aussi bien pour les propriétaires que pour les bovidés en lutte… Il n’en restera qu’une ! Vedette au fil des combats était devenue une icône dont les propriétaires ont tu le prix à la manière normande. Ne jamais répondre ouvertement à une question l’argent. Le temps du film joue avec cette retraite contrainte. Elle pèse. La mélancolie se joue des rapports. L’étable est trop étroite pour un si farouche animal. Le temps s’inscrit dans la lecture. Improviser un Salon, lire et ouvrir l’ouvrage de René Descartes, “l’Animal-machine”, à unchapitre donné. Tout est dans les mots et un cadre fixe. Lire et filmer. La solitude de Vedette rime avec celle de sa propriétaire. Le temps suspend la disparition annoncée. Les cinéastes,  Claudine Bories et Patrice Chagnard, filment le monde des silences. Des gestes économes, des contre-jours qui figent cette retraite. Le temps immobile s’égraine au rythme de la pluie, d’une caresse… D’un miracle. Vedette mettra bas d’un veau. Séquence paysanne tout dans l’économie de l’émotion dont les sourires trahissent la retenue. Georges Rouquier n’est pas loin. Même si les réalisateurs n’ont pas besoin de béquilles pour réussir leur film. L’héritage est là. Entièrement. Dans le respect de l’autre. Il faudra un plan supplémentaire pour comprendre que l’étable est maintenant vide. Sa majesté s’en est allée. Le documentaire de Claudine Bories et Patrice Chagnard réussi à nous faire partager l’oubli des vallées perdues. De redonner vie à des espaces que l’on imagine d’un autre temps.  Regardez par la fenêtre et observez ces gens de la montagne qui ne sont pas descendus en ville, comme chantait le poète pour manger du poulet aux hormones. Le documentaire est à voir. Peut-être parce que de retour du Salon de l’agriculture vous aurez envie d’un bon bol d’air pur. Même si cela sent un peu l’étable, il est bon de s’aérer l’esprit. Le film vous en offre la possibilité. Et ce n’est pas sa seule qualité.