L’entre copains, l’entre soi (Vincent, François, Paul et les autres – CLaude Sautet) . La solitude de la survie (Robinson Crusoé – Luis Bunnel) , La tribu en partage (Hair, Milos Forman), la famille comme clan (Les Robinson des mers du Sud – Ken Annakin) et leur fameux « Lodge » à l’africaine.
Deux temps, deux mouvements. Le phalanstère Godin (https://www.youtube.com/watch?v=U1sGGtG0PeQ) réalisation CNRS, et le site Notre-Dame-des-Landes (https://www.youtube.com/watch?v=Ipy01M4Bci4) documentaire de Jean-François Castell (C). L’envie fraternelle comme revendication politique.
Il y a bien un syndrome Vincent, François, Paul et les autres… Une sorte de malaise qui découle du Covid… Le repli sur soi, l’égoïsme tribal pour toute valeur sociale. L’Éden bucolique comme survie. Le bourgeois bohème endosse alors sa panoplie d’écolo-urbain. Entre télétravail et retour à la terre, c’est la mise en pratique (provisoire) d’un égocentrisme rêvé. Nous ne sommes plus à l’époque des jardins ouvriers et encore moins des phalanstères utopiques où le partage était la raison de survivre. Ici, la campagne doit être en harmonie avec « Demeures de France », l’esthétisme comme reconnaissance de clan. On bannit le chant du coq, l’odeur du fumier, la cloche de l’église qu’il serait bon de ne plus entendre. Un décor aseptisé pour éviter l’inconnu. On force sur le trait ? Si peu que l’esquisse fait sourire… Notre Robinson est ainsi, volontaire dans sa démarche de chef de projet. Il cultive, dans le rebond, la survie de son espèce en éliminant les imperfections du rêve éveillé. Il se veut parfait dans sa démarche. Le cinéma aime Robinson (sous toutes ses formes) enfin presque. Il ne crapahute pas seulement sur une île déserte en quête de survie. On peut le rencontrer à notre porte, la main tendue. C’est un type comme vous et moi… Ils sont des héros magnifiques qui peuvent aller droit dans les murs qu’on leur interdit de franchir. L’utopie n’est pas forcément bonne conseillère, il faut l’apprivoiser pour la mettre dans sa besace. La fin, moins pessimiste (seconde version) de La Belle équipe (1936) de Julien Duvivier en est un exemple. Le Front populaire offrait l’éternité à l’espérance. Une île mentale, presque paradisiaque. Robinson Crusoé est un ouvrage de Daniel Defoe (1719) que l’on déclinera sous toutes ses formes. La science-fiction en fera ses choux gras et Robert Baden-Powell, le créateur du scoutisme (1907), s’en inspirera partiellement. Une fois la survie assurée, le naufragé reproduit l’essence même de ce qu’il connaît : sa civilisation. Avec les moyens du bord indispensables à ses repères. Le film mexicain de Luis Buñuel, Les aventures de Robinson Crusoé (1954), est une adaptation fidèle de l’œuvre littéraire. Si Buñuel n’aimait pas le roman, il était fasciné par la façon rousseauiste dont le personnage s’adapte. L’île déserte reste inhospitalière parce que non domestiquée. Jules Verne dans son Ile Mystérieuse remet un échantillon sociale de la société américaine qui fuit la guerre de Sécession sur la ligne d’un nouveau départ. Tout comme Disney qui reconstitue le cocooning familial de ses Robinson Suisses des Mers du Sud de Ken Annakin (1960) échoué sur une terre vierge. Ici on pousse l’enfantillage de la situation jusqu’à reconstituer dans les arbres une représentation idyllique de la maison de villégiature. Le danger n’a de prétexte que pour souder la cellule sociale dans un idéal sans encombre. Atmosphère de ce que l’on nous propose aujourd’hui dans quelques espaces touristiques à la sauvagerie parfaitement maîtrisée. Une aventure acidulée, proche du confort des Ecolos-Urbains. L’îlot où l’on peut renaître est parfois proche de l’enfer. Le film de Barbet Schroeder, La Vallée (1972), témoigne de la difficulté à régler ses comptes avec une société que l’on ne reconnaît plus. Sans être spectaculaire, on devient Robinson en chambre, en s’enfermant dans un studio, en rêvant d’un Retour d’Afrique (1973). Ce film d’Alain Tanner reflète le désarroi de l’après-68. Voir aussi Jonas aura 25 ans en l’An 2000 (1975) du même réalisateur sur les limites de l’approche communautaire. L’ailleurs est-il meilleur ? Pas forcément. Il peut fracturer l’espoir. On est alors enfermé parce que la folie devient la seule fenêtre ouverte sur la liberté. Ainsi Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman (1975) nous précipite dans un voyage sans retour sur une île intérieure qu’il nous est impossible à déceler. Croire que l’enfermement technologique pourra nous sauver du Covid est illusoire. Le fantasme de la peste noire tenaille. Fuir pour mieux s’enfermer. Le Joueur de flûte de Jacques Demy avec le chanteur folk Donovan, armé de sa flûte, brisera l’enfermement de la pandémie. Le repli sur soi sans avoir le courage de se remettre en question, nous sommes à des années-lumière de ce retour à la terre prôné par le mouvement hippy de l’après-68. Partir pour créer. Hair de Milos Forman(1979), Easy Rider de Denis Hopper (1969) mais aussi Alice’s Restaurant d’Arthur Penn (1969) constituent un petit florilège. Le cinéma français offrira pour sa part quelques documentaires sur une approche plus politique comme les Cinétract de Godard. Caméra au poing, René Vautier, Jean Rouch, Chris Marker, Louis Malle offriront à l’histoire le visage jusque-là inconnu de ses ouvrières, de ses paysans. Contre toute attente les hip ont tenu bon. Certains rejoindront la Confédération paysanne, d’autres deviendront syndicalistes, ceux à la main plus verte se lanceront dans le bio bien avant qu’il arrive sur les étals. Des vignerons avec la découverte du vin nature, Vine Calling de Bruno Sauvart (2019). Des musiciens également. Qui se souvient de Malicorne, La Bandoche ? Chacun son île et la Sociale pour tous… ces accidents de parcours que certains experts nomment « Robinsonnades » deviendront un genre littéraire et cinématographique. La science-fiction en fait encore ses choux gras : Seul sur Mars de Ridley Scott en (2015) ou encore le curieux Robinson Crusoé sur Mars de Byron Haskin (1964)… Survivre à l’autre, accepter la différence mais aussi réapprendre à être en harmonie avec soi-même. Un Homme nommé cheval de Eliot Silverstein (1970) démontre la complexité de se reconnaître dans une autre civilisation. L’impossibilité de s’adapter également, le rêve est trop fort et se brise Sur les Chemins de Katmandou d’André Cayatte (1969). De nombreux films offrent une vision plus ou moins positive de ce changement de vie. L’enracinement et la lutte : Tous au Larzac de Christian Rouaud (1970 – 1981) reste un des films les plus puissants. Dix ans pour défendre cette terre et l’énergie qu’elle procure. La Bretagne n’est pas en reste avec le film soutenu par René Vautier, Plogoff, des pierres contre des fusils de Nicole et Félix Le Garrec (1981). Notre espace est en résistance où l’égoisme social n’a pas sa place. Robinson, nous le sommes tous et la terre que nous foulons est notre continent. Le cinéma possède la puissance narratrice de remettre les compteurs à zéro. De la violence terroriste de Ice de Robert Kramer (1969) à l’utopie rêvée de L’An 01 de Jacques Doillon et Alain Resnay (1973). Faut-il oublier les phalanstères de Fourier et Proudhon et Notre-Dame des Landes ? Ignorer les utopies en devenir . Le 7e Art, depuis ses origines, reste le témoin des soubresauts de notre société. Entre fictions et documentaires, il prend la température. Et constatons qu’aujourd’hui, elle est bien trop haute pour ne pas craindre une crise.