Vos papiers !

Jean-Pierre Denis, un douanier cinéaste

Fernandel et Totò dans un nanar qui mérite d’être redécouvert La Loi c’est la Loi, (1958)  un film de Christian jaque, remake de Gendarmes et voleurs (1951) avec Totò, une autre pépite,  L’abominable Homme des douanes (1963) de Marc Allégret avec Francis Blanche, Darry Cowl, Pierre Brasseur et Tania Beryll que vous pouvez découvrir dans sa totalité.

Le Brexit a du bon. Il réveille quelques souvenirs éparpillés sur les étagères de notre mémoire. Comme des films oubliés qui ne passeront pas la porte des cinémathèques ni des salles du patrimoine (lorsqu’elles rouvriront). Beaucoup ont fait le petit bonheur de spectateurs égarés dans des salles aujourd’hui disparues. Un cinéma de l’instant qui n’avait d’autres ambitions que le moment présent. Des films qui respiraient “les matinées” et l’entracte publicitaire Jean Mineur… Une ambiance gommée de la mémoire des jeunes gosses que nous étions. Un univers dans lequel les films “Douaniers” avaient une place particulière. Pas tout-à-fait un genre, difficilement classables avec cet humour sans nuances qui s’en dégageait. Un cinéma en roue libre qui convenait à notre bande. Des films au goût d’une adolescence en goguette. Ils se conjuguaient à merveille avec ces années de colonies de vacances (laïques) en Savoie où, avec le peu d’argent de poche que nous possédions, nous allions en fin de séjour frémir de plaisir de l’autre côté de la frontière, en Suisse. Comment résister à l’interdit ? La petite bande élaborait un stratagème à la hauteur de la fraude que nous allions réaliser. Un cinoche à hauteur d’écran, soustraire à la loi helvétique nos plaques de chocolat blanc. Rien à déclarer ! Un frisson d’aventure sous le regard amusé des douaniers. Une roublardise que nous partagions dans le plus grand secret. Nos achats clandestins comme butin pris à l’ennemi. Nous étions Les Chiches Capons de la colo. Un plaisir cinématographique que certain découvriront que bien plus tard à la télé : Les Disparus de Saint Agil de Christian Jaque et surtout La Guerre des boutons d’Yves Robert. Un village cartographié aux multiples territoires, aux frontières floues défendues par deux bandes de galopins… sur les écrans de quartier se dessinaient d’autres frontières, celles de l’espace imaginaire et fantasmé du western. La frontière est partout et les douaniers par leur fonction en deviennent les garants. Drôles de films que ce genre assis entre deux chaises, voire trois… Policier qui n’en est pas vraiment un, burlesque mais pas que, film de bidasses, encore que ! Des personnages souvent ridiculiser pour mieux valoriser l’entourloupe tendance Pieds Nickelés. Un fil constant dans la tradition clownesque entre le clown blanc et l’Auguste. Un tour de piste que l’on doit à la bande de Francis Blanche et Darry Cowl et qui rappelle Signé Furax, célèbre feuilleton radiophonique du complice Pierre Dac. Des nanars qui méritent le détour comme L’Abominable homme des douanes. Fernandel de son côté réussit son examen de passage avec le remake d’un grand succès italien porté à bout de bras par Toto : La loi c’est la loi. Ce type de films de la décennie 60-70 se ramasse à la pelle. Embrassant tous les genres… L’esprit comique troupier, intraduisible aujourd’hui, a fait les beaux jours d’un cinéma français qui n’avait d’autre but que de croire que même les blagues graveleuses suffisaient à faire oublier le premier choc pétrolier. Rembobinons l’histoire, revenons sur nos pas. Il nous manque quelque chose, quelqu’un… Un douanier, un douanier/réalisateur. Un type qui a pris goût au cinéma en ayant entre ses mains, une caméra 8mm. Loin de la caricature. Il se nomme Jean-Pierre Denis. Six films en trente ans. A la manière des grands sportifs auxquels l’État aménage le temps de travail, Jean-Pierre Denis a pu mené sa carrière de cinéaste. Son premier film, Histoire d’Adrien, tourné avec les moyen du bord au format 16 mm reçoit en 1981 la Caméra d’or au festival de Cannes. Puis le voilà invité chez Robert Redford pour Sundance assis à la même table que Sydney Pollack. Il est fier le douanier de représenter outre-Atlantique le corps de son institution. Jean-Pierre Denis dépoussiérait d’un coup les caricatures qu’en avait faites Fernand Raynaud. Ce qui, on l’imagine aisément, n’a pas déplu à l’administration. Il lui en faudra du courage pour se débarrasser des sangsues agrippées à ses faits et gestes et retrouver un nouvel équilibre que lui offrira Michèle Halberstadt, productrice de Taxi en lui permettant de réaliser Les Blessures assassines, huit ans après sa Caméra d’or. Suivront La Petite Chartreuse (2005) et Ici-bas (2011). Jean-Pierre Denis n’en a pas fini avec le cinéma. Il filme au gré des rencontres comme autant de dialogues. Devant la difficulté toujours plus grande à réaliser des films, il encourage la production de films art et essai. Nous sommes dans le partage. Loin de ces films à la moquerie facile. Qui, pourtant ont cette utilité bien étrange d’offrir un tour de piste sans prétention au rire. Le cinéma est ainsi fait que les genres sont sans frontières. Ils voguent selon l’humeur du réalisateur dans la porosité des sujets. Laissons aux querelleurs le choix et osons simplement apprécier, au rythme des envies, le film pour ce qu’il est. Au diable les catégories, laissons-nous porter.