Léger et le cinéma

Ballet Mécanique
1923-1924
Fernand Léger et Dudley Murphy
 Aucun scénario, les images sont montées avec toute la puissance de  l’écriture automatique.  Le typo des plans comme phrasés poétiques.   

LA MÉCANIQUE DE L'IMAGE

Avec sa gueule d’acteur sorti tout droit de Scarface, à moins qu’il ne s’agisse de Dick Tracy, ce héros créé par Chester Gould en 1931,
Fernand Léger (1881-1955) rappelle à notre bon souvenir, les ambiguïtés relationnelles qu’ont toujours entretenues le cinéma et l’art pictural. Reconnaissons qu’elles n’ont pas toujours fait bon ménage, parfois même le couple se déchirait, proche d’un divorce sans concession.  Heureusement, il y a aussi des réussites qui tutoient l’osmose. Comment oublier Le Mystère Picasso de Clouzot (1955) ? Le dernier livre de François Albera (rédacteur en chef de 1895, revue d’histoire du cinéma) consacré à Fernand Léger et le cinéma, fait écho à l’exposition que l’on pourra découvrir du 11 juin au 19 septembre 2022 au musée Fernand Léger à Biot. Un bel été en perspective. Avouons-le, prendre de l’avance pour annoncer ce bijou, c’est déjà entrouvrir les portes de l’exposition.
Si l’ouvrage de François Albera doit être en main de tout cinéphile qui arpente l’exposition Fernand Léger et le Cinéma, un second livre, aussi indispensable, vous accompagnera, le catalogue de l’exposition LÉGER-CINEMA dirigé par les commissaires de l’exposition Anne Dopffer, conservatrice générale du Patrimoine, directrice des Musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes et Julie Guttierez, conservatrice au musée national Fernand Léger.
Qu’est-ce que le cinéma pour Fernand Léger qu’il découvrit en 1916, alors en permission en compagnie de Guillaume Apollinaire ? Les premiers films de Chaplin comme révélateur. Il suffit de quelques images sautillantes pour se laisser apprivoiser. Fantasmant sur l’outil et ses opportunités. Écrire avec l’image !
Une époque où les possibles sont encore envisagés avant que le 7e Art ne se fige dans l’industrialisation. La peinture donc. L’illustration également.
Léger ne se désolidarisera jamais de l’image argentique. Un tout que l’on retrouve dans Le Ballet mécanique (1924), le seul film entièrement réalisé par le peintre. Les critiques de l’époque trouveront un qualificatif :  “Films d’Art”, à faire fuir le cinéma du samedi soir ! Qu’importe la mouvance, l’important est l’émotion de cet artifice qu’offre le cinéma. Les arts dans leurs ensembles conjugués en un seul que le critique italien Ricciotto , en 1923, nommera le 7e art. Le Ballet mécanique rejoint, par son esthétisme, La Roue (1922) d’Abel Gance dans lequel Fernand Léger a glissé sa patte de coloriste. Les panneaux ferroviaires, c’est lui. Ainsi que l’élaboration des maquettes de l’affiche. L’adaptation est le maître-mot de l’artiste. Pourquoi Fernand Léger ne pourrait-il pas aborder avec la même aisance artistique le décor, les costumes, les affiches ? Il  peindra le social et se laissera filmer, lui qui pourtant aimait tant cette place de “metteur en images” derrière la caméra, de monteur dont il rejoindra l’esprit “scalpel” de Dzida Vertov. Il mettra en scène ses tableaux monumentaux comme autant de photogrammes, certains aussi grands qu’un écran de cinéma. Avoir le recul pour voir. Un gigantisme que l’on retrouvera dans les décors de nos L’Inhumaine de Marcel l’Herbier offrant la démesure que peut apporter le cinéma. Grandiose : personnages dévorés par les décors monumentaux. L’aboutissement d’un relationnel artistique qui ne se reproduira plus. Combien de scénarios écrits resteront lettres mortes ? A noter les films de papiers, cette volonté de l’animation comme outil cubiste. Un “Charlot” fragmenté. La signature politique de Fernand Léger n’est jamais loin, voir sa correspondance avec le cinéaste soviétique Eisenstein pour un projet concernant Louise Michel (La Vierge Rouge). Le cinéma effleura la vie du peintre, nourrissant des espoirs sans lendemain. Il n’y renoncera jamais. Ne s’est-il pas entretenu avec Epstein, Man Ray, Max Ernst et Alexandre Calder, auxquels il se joindra en 1947 pour un sketch dans le film collectif dirigé par Hans Richter, Dreams that Money Can Buy ? Un aboutissement du cinéma surréaliste qu’il définira par le terme Cinématique. Toute une aventure artistique en un mot. Il suffit à résumer les innombrables projets inaboutis. L’absence n’empêche pas l’empreinte de Fernand Léger de perdurer.

« Le cinéma a trente ans, il est jeune, moderne, libre et sans tradition.
C’est sa force […]. Le cinéma personnalise le fragment, il l’encadre et c’est un nouveau réalisme dont les conséquences peuvent être incalculables. »

A noter sur vos tablettes : colloque international Fernand Léger : une pensée cinématographique du mercredi 29 juin au samedi 2 juillet 2022, mais aussi le Musée Fernand Léger créé après la mort de l’artiste, sur l’initiative Nadia Léger sa veuve, et Georges Bauquier proche collaborateur sera ouvert au public en 1960, sur le projet de l’architecte russe André Svetchine

Musée national Fernand Léger, Chemin du Val de Pôme 06 410 Biot
téléphone 04 92 91 50 20
ouverture
tous les jours sauf le mardi et le 1er mai de mai à octobre, de 10h à 18h

informations et réservations : www.musee-fernandleger.fr

publication aux éditions de la Réunion des
musées nationaux – Grand Palais, 2022
catalogue broché, 21 x 23 cm, 216 pages,180 illustrations, 39 €
parution prévue à l’été 2022
En vente dans toutes les bonnes librairies ou sur :  www.boutiquesdemusees.fr

C’est une première, Le catalogue, tout au long de ses 216 pages présente de manière exhaustive, l’ensemble des projets cinématographiques menés par l’artiste, mettant ainsi en valeur les relations que le peintre a entretenues avec le septième art.

La sortie chez Lobster de L’INHUMAINE de Marcel L’Herbier (entièrement restauré) dont les décors grandioses sont signés Fernand Léger, est bon moyen de découvrir l’indispensable film de Marcel L’Herbier et l’ampleur artistique de l’auteur du Ballet mécanique. N’hésitez pas cliquer sur le visuel pour vous procurer ce chef d’œuvre.