Nijinski

Vaslav Nijinski et Charlie Chaplin en Décembre 1916

Le crayon dansant

Décembre 1916, Hollywood. L’industrie du rêve prend déjà de l’embonpoint et s’étend bien au-delà du périmètre des origines. Charlie Chaplin accueille Vaslav Nijinski et sa troupe dans son nouveau studio. On y tourne La Cure. Si on rit sur le plateau de tournage des gags de Charlot, Nijinski reste de marbre. Déprimant et pourtant révélateur du danseur. Il observe sans se laisser emporter par la situation. C’est le mouvement qui l’impressionne. Vaslav Nijinski dira à Charlie Chaplin “Vous êtes un pantomime, comme moi, vous êtes danseur“. Tout est dit. Le mouvement avant toute règle. La modernité comme écriture. Le défi comme valeur artistique. Une aventure unique qui ne dura que sept ans. Une signature du corps qui scella la danse dans tous ses états. Dominique Osuch nous offre l’aventure d’une étoile qui voulait tutoyer Dieu. La folie seule permet cette audace. Qui dit que Nijinski dans l’extase de la danse n’a pas côtoyé le Divin ? NIJINSKI L’ange brûlé, le sous-titre résume bien ce dont le danseur avait peur. Du temps qui passe. Il fallait le maîtriser, le dompter, il devait gagner sur lui, aller plus vite et se projeter à corps perdu dans l’apesanteur de la danse. Un pressentiment ? Cette recherche est parfaitement illustrée dans l’ouvrage : des chapitres courts comme autant de respirations. L’auteure dessine comme on écrit la danse. Dans le mouvement accentué d’un délié. Il suffit de peu, d’une légère rotation du poignet pour qu’apparaisse, sous le trait, la silhouette de Nijinski. Dès la page de garde, on est happé. Roman graphique, Nijinski L’ange brûlé, de Dominique Osuch est un ouvrage de conteuse qui fusionne avec malice l’image et le mot. On pourrait parler d’acte chorégraphié. Un pas de deux réussi. Une corrélation offrant au lecteur l’imaginaire de la représentation. On se sent partenaire. C’est la force du roman que de nous offrir par des scènes courtes (allant jusqu’au plan séquence) les étapes importantes de ce danseur d’exception. Le tempo cinématographique n’est pas absent. Le découpage ponctue le rythme de lecture, tout en fluidité. La chance est au rendez-vous.
C’est le roman graphique de votre été. Pas seulement parce que le plaisir que l’on ressent est entier et dansant, mais également par cette transmission charnelle que nous offre le dessin et que l’on perçoit en feuilletant les 260 pages de l’ouvrage.