Sunless Shadows

Le bouton rouge

Filmer, c’est raconter des histoires. Être filmer, c’est accepter de venir s’asseoir façon photomaton devant un objectif, avec les recommandation du réalisateur : “Sarah, dans cette pièce il y a une caméra. Tu peux appuyer sur le bouton rouge pour enregistrer et dire ce que tu as envie de dire“… Le film de Mehrdad Oskouei est une œuvre aux confidences multiples. Pour les protagonistes, pour nous, pour la confiance que ces femmes offrent à des publics inconnus. Les mots face caméra prennent sens. L’œuvre est brute, donnant au travail de Mehrdad Oskouei cette puissance évocative qui rappelle les arts premiers. Où la stylisation n’était pas indispensable à la sincérité. Avec Sunless Shadows, le réalisateur iranien Mehrdad Oskouei clôt son triptyque consacré aux centres de détention pour jeunes en Iran : Des rêves sans étoiles (2016), Les Derniers jours de l’hiver (2011). Après avoir rencontré des jeunes filles, des jeunes garçons, la caméra s’attarde en toute discrétion sur des adolescentes détenues, coupables du meurtre de l’un des hommes de leur famille, de trafics de drogues… La caméra s’invite sans voyeurisme. Elle côtoie les jeunes adolescentes, devient copine et participe aux anniversaires. Dans l’insouciance de ces pré-adultes c’est la gravité qui s’invite avec ce constat : celui de ne pas regretter leurs actes. Naturellement le père, le frère manquent, l’absence fait mal, nous le sentons, cela est dit. Comme est décrite dans les silences, la violence qu’elles ont subie, elles, leurs sœurs, leur mère. La peine de mort rode, mais on en parle peu. La loi du talion est écrite, et on ne remet pas en causes les tables de la Loi ! Et les hommes, frères, cousins, pères veulent que la mort seule soit la seule sentence applicable. Une femme ne doit pas lever la main sur un mari, un frère, un père ! Elle doit subir. La caméra de  Mehrdad Oskouei nous déconnecte de la réalité occidentale, de notre confort juridique. Même si des propos font échos à des situations semblables, combien de femmes ont porté plainte ? Plaintes restées sans suite ! Sans jamais forcer le trait, le réalisateur brosse avec subtilité le portrait de jeunes femmes aussi diverses que responsables. Seules face au monde patriarcal. La violence est dans la douceur de ces femmes, dans leurs déplacements, dans le regard. Dans le regret de l’acte. Il y a une résistance qui s’opère comme dans le parloir où la fille rend visite à  sa mère pour la réconforter. La peur pour cette mère d’être pendue. Les hommes de la famille l’ont condamnée et ne lui ont pas pardonné de s’être révoltée sous les coups. Sa fille, elle aussi en centre de détention, promet à sa mère de faire tout pour la sauver de la pendaison. Que faire ? Ce passage résume bien ce qu’essaie de percer le réalisateur. L’acte du meurtre comme essence de survie. Il ne prend naturellement pas partie, mais la caméra le fait pour lui. Le documentaire est en apesanteur. Peut-être est-ce dû à la clarté de l’enfermement ? A ces murs clairs qui ont vu le  grand-père puis le père du réalisateur enfermés comme prisonniers politiques ? Certainement. A la tentative de suicide de Mehrdad Oskouei à l’âge de 15 ans… Peut-être. Au triptyque qu’il peut enfin présenté comme une œuvre entière et majeure. Aussi. Peindre du bout de l’objectif une génération iranienne derrière les barreaux n’est pas une affaire aisée surtout quand cet espace carcéral devient pour certaines filles un environnement protecteur. A l’abri des coups subis. Étrange retournement de situation où le centre de détention devient protecteur contre la liberté toute puissance du patriarcat.