Bob Dylan et Allen Ginsberg devant la tombe de Jack Kerouac (Renaldo & Clara)
Monsieur Tambourine Man
Le cinéma existe-t-il pour Dylan ? Le poète et troubadour qui a reçu le Prix Nobel de littérature en 2019 voyage entre les images comme son référent François Villon qui se faufilait entre les mots. Maudit par les puissants, le moyenâgeux a laissé une œuvre maîtresse qu’ont lu Robert Allen Zimmerman et son alter ego Jacques Kerouac. Une inspiration artistique autour d’une œuvre : Le Testament. Un fantôme littéraire qui vit aujourd’hui encore entre le Quartier latin et ce qui fut les Halles. Le ménestrel Bob Dylan avait aussi un autre modèle, plus contemporain. Il se rêvait en Rimbaud. Pour une génération, il l’est devenu. Insaisissable, déjouant les pronostics et les idées arrêtées, balayant tout compromis, Bob Dylan reste inclassable. Est-il possible qu’une caméra apprivoise un poète ? Cocteau n’a-t-il pas essayé ? L’enfermer dans un cadre cinématographique ? Lui faire jouer un personnage ? Alias n’est-il pas son meilleur rôle ? (1) Le livre d’Angel Quintana nous interpelle. Ne serions-nous pas devant le sphynx de la mythologie ? La silhouette mille fois reconnaissable du poète ne rappelle-t-elle pas les réflexions de Janus ? Dylan est l’interprète de lui-même. Un self portrait. Images sonores en héritage de Woody Guthrie, naturellement, qui forgea sont écriture. Le chanteur, syndicaliste, qui inspira la Beat Generation. Le mot comme image. Le collage sonore comme matière surréaliste, parfaitement assumée, qui se love dans le seul film de fiction (2) qu’a réalisé Bob Dylan en 1978 : Ronaldo et Clara. Patchwork des regards underground. Ecriture automatique emprunté à André Breton. L’image s’invente au fil du déroulement. Film qui aujourd’hui encore nous questionne, tout comme le film récent de Martin Scorcese Rolling Thuner revue : a Bob Dylan Story (2019) qui flirte entre réalité et mensonge, là encore une matière surréaliste du collage cinématographique. Le vrai, le faux et ? Flash, théâtre d’ombres rappelant une des dernières œuvres d’Orson Welles, F. for Fake (1973). Si Dylan n’a réalisé que deux films, sa trace subliminale est présente dans tous les documentaires musicaux qui lui sont consacrés. L’empreinte indélébile d’un homme libre, résistant à tous les conformismes. Il faut croire encore aujourd’hui qu’un accord musical suffit au désordre d’un poème. Il reste le seul lien entre l’artiste et son public. Croire que tout est encore possible. Baladin des sixties, refusant, ou fuyant le poids des mots représentant l’espérance d’une génération. Avec le Prix Nobel de littérature, le verbe l’a rattrapé. Qu’à cela ne tienne, un pas de côté suffit. Il est libre Dylan. L’image avec laquelle il flirte n’est-elle pas le prolongement de son écriture livresque ?
(1) Pat Garret et Billy the Kid (1973) de Sam Peckimpah
(2) En 1972 il co-réalise un documentaire avec Donald A. Pennenaker Eat The document