Mauvaises Filles

La mémoire jamais oubliée

Le cinéma possède la force régénératrice de fertiliser le passé que l’on voudrait laisser sous le tapis. Comme il est confortable de vivre dans la négation d’un acte social aux antipodes de ce que la fraternité doit enseigner. Émérance Dubas signe avec son premier film, Mauvaises Filles, un documentaire qui arrache de l’oubli ces centres de rééducation appelés aussi “de correction”. Un long parcours d’enquête commencé en 2015 et qui, dans la démarche de la réalisatrice, prendra de plus en plus de place, menant sa réflexion vers un cinéma d’écoute. La parole comme silence, le silence comme confidence. Une affaire de femmes ? D’ailleurs, faut-il se poser la question ? Qui d’autres qu’une réalisatrice pour tenir la caméra ! La congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur fondée en 1829 à Angers a recueilli, dans sa piété rédemptrice, filles perdues, filles-mères, mauvaises filles (avec tout ce qu’impose la morale). Maison qui après la Seconde Guerre mondiale deviendra avec  la naissance de la justice des mineurs (1945) un établissement  de l’éducation surveillée sortant du joug de l’administration pénitentiaire. Si les garçons sont envoyés dans des internats publics, la majorité des filles se retrouvent, elles, dans des établissements religieux “pour garantir leurs bonnes conduites”. 
On imagine bien le “Le Bon Pasteur” se frotter les mains en retrouvant ses ouailles perdues. La voie devenait libre pour une éducation des plus strictes à l’intérieur des murs avec l’indifférence de l’Etat. Où était la morale chrétienne, ailleurs que dans les sévices ! Les filles étaient enfermées dans un carcan moral des plus destructeurs. La violence psychologique et physique comme éducation de ces “délinquantes”. Elles s’appellent Édith, Michèle, Éveline, Fabienne et Marie-Christine insoumises parce qu’adolescentes, elles voulaient vivre. Vivre ? Leurs confessions n’ont rien de misérabiliste. Ces femmes gardent cette vitalité que l’on doit à la vie. Comment oublier ? C’est avec une caméra “sage” que l’on nous invite à déambuler dans cet univers que l’on peut nommer carcéral. Les confessions se font par touches, à la manière d’un puzzle que l’on construit. Doucement, l’assemblage s’organise au fil du documentaire. L’effroi colore le tableau. Émérance Dubas capte l’emprise vénéneuses des sœurs décrites par la parole des témoins. L’empreinte est forte, violence, insoluble dans l’oubli. Édith placée à l’âge de 6 ans suite à la séparation de ses parents entre 1933 et 1942. Michèle est conduite par sa mère au Bon Pasteur et y restera de 1955 à 1959. Éveline est d’abord envoyée par le juge des enfants au centre d’observation du Bon Pasteur puis entrera au Bon Pasteur pour quatre ans de 1962 à 1966. Fabienne née sous X, plusieurs institutions, son placement durera quatre ans de 1970 à 1974 et Marie-Christine voguera entre plusieurs établissements. Un internat de trois ans de 1964 à 1967. Ces femmes se sont reconstruites. Le film leur rend hommage, à elles et à toutes les anonymes que ce type d’établissements a broyées. Retenons une phrase : « c’est incroyable, on n’a pas le même âge, on n’était pas au même endroit et pourtant on raconte toutes la même chose ! ». Un constat. Tout comme le film revendique l’intime comme politique. C’est toute la puissance du documentaire d’Émérance Dubas de restituer la parole sans le recours à un discours cinématographique théorique. A découvrir et à partager.