Méridional !

Nationale 7 !  La route du soleil et les cigales au creux de l’oreille… Une route de la couleur des vacances, de celles des premiers congés payés. Le Sud comme destination pour oublier la grisaille des violences… Arrêtons-nous en 1936, quelque part en Provence ! Marcel Pagnol est sur le point de terminer César, pour entamer Topaze dans sa version méridionalisée… La même année sortira, toujours de Pagnol, Merlusse souligné par la musique de Vincent Scotto. Le futur académicien a le cinéma dans la peau. Est-ce un si grand hasard s’il est né à Aubagne en 1895, année du début du cinématographe ? Est-ce la peur du temporaire qui lui fera dire que « le 7e Art fixe des chefs-d’œuvre éphémères » Le cinéma s’inscrit aussi avec l’accent. Sans honte, la fierté de l’exporter. Fermandel et Raimu,  et dans une moindre mesure, Charpin, Saturnin Fabre,  Rellys, Andrex,  resteront avec beaucoup d’autres de parfaits ambassadeurs d’un cinéma national qui s’est inscrit dans la culture méridionale. Un cinéma dont le soleil n’est pas toujours le complice du bonheur. Les drames comme RegainLa femme du boulangerToni… ont-ils la même grisaille psychologique qu’au nord de Valence ? L’accent des tragédies passe-t’il mieux devant une anisette ? Avec le ressenti que procure un décor comme la Provence (géographiquement étendue), la tragédie ne peut pas s’installer ouvertement entre un soleil paresseux et les cigales… Pourtant le drame n’est jamais loin, Manon des Sources se loge entre les mots et les non-dits. Le cinéma méridional s’inscrit dans la boutade. Il est à fleur d’accent.  Marcel Pagnol n’est pas le seul à poser sa caméra : le Midi devient une terre de prédilection qui conquiert rapidement les cinéastes. Et l’on redécouvre les studios de la Victorine à Nice créés en 1919 pour faire la nique à Hollywood. La luminosité n’y est pas pour rien ! Le cinéma a toujours couru après la lumière. On imagine le Sud avec les idées du Nord et l’on se heurte à la suspicion des méridionaux. Une toile peinte, quelques indices comme un mur de pierres, des arbres de pacotille sortis du rayon accessoires, une treille, l’indispensable rideau de perles de bois, un éclairage tout en contrastes. Et voilà La Provence de Chotard et Cie de Jean Renoir. Parfois, seul le générique semble authentique. On pose ainsi la caméra devant une Provence que l’on veut sienne. Mais peut-elle se partager ? Qui d’autre que Pagnol a suffisamment de talent pour faire des “pagnolades ?” L’auteur de Topaze l’a rapidement compris. Il ne fallait pas se faire tondre par les Parisiens. L’académicien créera, dès 1934, ses propres studios et laboratoires au 111, avenue Jean Mermoz à Marseille, offrant à travers sa maison de production les outils nécessaires à la création d’un cinéma spécifique. Le cinéma méridional sera perçu comme exotique, tout comme ces artistes marseillais (Fernandel en tête) montant à Paris en appuyant l’accent sur scène. Pas besoin de le forcer en terre occitane, ce sont les autres qui ont l’accent. De 1936 à 1962, année de l’incendie des studios des Films Marcel Pagnol, combien de films ont-ils été tournés ? Les chiffres varient selon les sources. Basons-nous sur du concret. Chaque film était livré avec son complément de programme, le plus souvent un documentaire. Quatre cents de ces courts-métrages vantaient, sous tous les angles, l’attrait du pays, la pêche, les santons naturellement mais aussi les fêtes régionales et religieuses, la mer et l’arrière-pays par le train des Causses. Un complément de programme qui donne une idée assez juste du nombre de longs-métrages réalisés en vingt-six ans chez Pagnol et ailleurs. Entre les stéréotypes de la représentation (voulus ou pas – on peut longuement discuter sur la manière de surjouer l’accent imposée par Pagnol à ses interprètes – comme pour protéger la Provence de Daudet d’un pillage éventuel), la construction d’un modèle imaginaire, d’une Provence idyllique derrière laquelle se profilait pour ceux qui avaient le coup d’oeil, un rempart d’images de chemins escarpés de la garrigue, pique-niques à l’ombre des oliviers, tonnelle d’un bar, marché, parties de boules, ruelles écrasées par le soleil. Que lit-on au dos de ces cartes postales ? Beaucoup de ressentiment, une aigreur qui a le goût du soleil… Regain, le seul film tourné par Giono, Maurin des Maures, Les CamarguaisTartarin de TarasconL’Etrange monsieur Victor. La liste est longue. Faut-il oublier pour autant Le Chant de l’exilé avec Tino Rossi ? AngèleLe Mistral. Un cinéma dont les racines s’étendent de Nice à Toulouse. On n’y parle pas forcément le même accent, mais l’on s’y reconnaît . L’entre-soi. Est-ce pour cela qu’un étrange sentiment flotte sur ce cinéma ? Si de leurs multiples périples, Marius, Tartarin et beaucoup  d’autres reviennent toujours là où l’histoire a commencé, d’autres se déracinent pour trouver le soleil à notre porte. L’étranger aussi a un accent.  Moins chantant, moins amical, plus suspect : Toni de Jean Renoir en est l’exemple… On est toujours l’étranger de quelqu’un. Le Schpountz, le sait trop bien, lui qui voulait faire du cinéma et dont l’équipe parisienne fustige les ambitions jusqu’à l’humiliation. Un plouc qui veut faire du cinéma ? “Laissez cela aux professionnels et allez jouer avec votre baby pathé ! ” Ne se moque-t-on pas de ce cinéma qui sent bon les vacances ? Si loin de Paris qu’il semble avoir été concocté par quelques explorateurs en mal d’exotisme. Un cinéma que Pagnol et Giono, Marc Allégret, Pierre Blanchar et Renoir dans une moindre mesure, protègent. En participant à l’écriture mythologique de ce cinéma méridional, ils inscrivent dans l’histoire du 7e Art un chapitre qu’il serait bon de re-visionner en toute hâte.
Pour compléter la présentation (re)découvrez l’ouvrage de Claudette Peyrusse Le Cinéma Méridional (1986). Ou consultez le site officiel de Marcel Pagnol sur lequel se trouve quelques trésors.